« La qualité de la relation CFO-DRH ne peut être laissée au hasard »

Comment rendre la relation CFO-DRH plus harmonieuse, et donc plus efficace? Prolongeant notre dossier du mois passé, le séminaire CFO Meet HRM: Making Peace Between Dogs & Cats, organisé ce 15 novembre dans les murs de la FEB, en partenariat avec Mercer et SAP, a permis de mettre en évidence toute une série de terrains d’entente et de dossiers se prêtant à une collaboration accrue entre les deux fonctions. Au-delà des sujets à développer ensemble, apprendre à parler le même langage est aussi et avant tout une question d’attitude.

CFO et DRH se comportent parfois comme chiens et chats. « Avec mon CEO, je forme un bon tandem et c’est indispensable au succès de l’entreprise… », nous affirment-ils chacun. Mais voilà: sur un tandem, il n’y a que deux places! Et, force est de constater que, sur cet autre tandem qu’est le tandem CFO-DRH, on peut avoir tendance à pédaler en sens opposé. La satisfaction du personnel, le souci d’apparaître comme un « employer of choice », la gestion des compétences… autant de sujets RH qui paraissent loin des préoccupations du financier. A l’inverse, la fonction RH peut se sentir limitée par des contraintes que lui impose le financier: exigences croissantes en termes de contrôle de gestion, de reporting, de tableaux de bord; course à la réduction des coûts; orientation court terme,… Autant de contraintes qui donnent l’impression au DRH de ne pas pouvoir s’inscrire dans une logique de valeur ajoutée.

« Une alchimie entre CFO et DRH doit exister: l’entreprise ne peut fonctionner que comme ça. »

Bien sûr, il est des cas où le duo CFO-DRH fonctionne bien, et c’est heureux. Mais, même dans cette configuration, les sources de malentendus ne manquent pas, et les espaces collaboratifs demeurent trop peu exploités. Une certitude: quand ça « fonctionne bien », c’est souvent en raison d’une complicité et d’affinités personnelles entre les deux personnes. Beaucoup dépend de la qualité de la relation et de l’écoute de chacun. Corolaire positif: faire la paix entre finance et RH et nouer un dialogue est donc bel et bien possible. En témoignent également les expériences présentées à l’occasion de ce séminaire. Parmi les pistes à creuser, développer la culture financière du DRH, mettre en place des indicateurs communs, mobiliser le CFO sur des enjeux « people » et outiller celui-ci en matière de leadership, figurent en tête.

Axe structurant

Directeur Général du Grand Hôpital de Charleroi (GHdC) – fruit de la fusion des hôpitaux et cliniques Notre-Dame, Reine Fabiola, Saint-Joseph, Sainte-Thérèse et l’IMTR, auxquels il faut rajouter plusieurs ASBL –, Gauthier Saelens a lui-même évolué comme directeur financier, d’abord aux Cliniques universitaires Saint-Luc, puis dans l’institution qu’il dirige aujourd’hui. Dans cette fonction, il encourage forcément une bonne collaboration entre directeur financier et directeur des ressources humaines, deux postes qui, au GHdC, sont occupés par des femmes. Il souligne d’ailleurs que le directeur financier, en tant que « patron » d’une grande équipe, est lui aussi un « people manager ».
« Encadrer son équipe est une des tâches importantes du CFO, même si ce dernier est souvent peu formé à la gestion des ressources humaines, relève-t-il. Dans le cadre de mes études, par exemple, je n’ai eu qu’un seul cours de gestion du personnel. CFO et DRH ont donc beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Durant ma carrière au sein des Cliniques Saint-Luc, nous avons repris plusieurs institutions. Très vite, je me suis rendu compte que les efforts du CFO seuls ne suffisent pas. Lors de la reprise de l’Hôpital Français, alors en situation de faillite, il a fallu complètement relancer l’activité. C’était un défi à la fois financier et RH. Avec Christine Thiran, la DRH, nous nous sommes mobilisés pour réengager 60 personnes en quelques jours, désamorcer une situation de crise et remotiver le personnel. Et ça a marché en travaillant ensemble: les infirmières se sont montrées disponibles pour repeindre les cabinets de consultation, ce qui est pour le moins inhabituel dans ce type d’environnement. »
Pour réussir une acquisition, DRH et CFO n’ont d’alternative que de faire face aux enjeux financiers et humains ensemble. L’énergie et l’entente de ces deux personnes conditionnent le succès du projet. L’importance d’une bonne collaboration est d’autant plus réelle dans le monde hospitalier que les salaires du personnel y représentent plus de 60% du budget et que les sources de financement sont complexes. De plus, ses deux métiers de base, les médecins et les infirmières, sont en situation de pénurie, ce qui exige une gestion RH proactive. La qualité de la paie, les règlements de travail, la motivation des cadres, l’absentéisme et la comptabilité analytique sont autant de domaines à aborder de façon concertée.

« Je conseille souvent aux DRH et aux CFO de faire de temps en temps des visites en clientèle. »

« Une alchimie entre CFO et DRH doit exister: l’entreprise ne peut fonctionner que comme ça. Il faut bien se dire que la mise en opposition du CFO et du DRH finit toujours par fragiliser l’entreprise par l’ouverture de failles dans le dispositif de gestion. Plus qu’autour d’un tandem DG-directeur financier ou d’un tandem DG-DRH, j’estime que le directeur général doit se positionner comme partenaire privilégié du tandem directeur financier-DRH, pointe Gauthier Saelens. La qualité de la relation CFO-DRH ne peut être laissée au hasard. C’est un axe qui structure notre comité de direction. Leur entente doit être soit choisie – comme j’ai pu l’obtenir au Grand Hôpital de Charleroi puisque les deux postes ont été à pourvoir à peu de temps d’intervalle –, soit travaillée. Le fil conducteur de la relation est de concilier chiffres et relations personnelles. »

Les RH dans le business

Avec 33 ans d’expérience dans les RH au sein d’une petite dizaine d’entreprises de secteurs variés, André Leclercq, aujourd’hui DRH du groupe FN Herstal-Browning, a eu l’occasion de travailler avec plusieurs directeurs financiers. L’occasion d’explorer les ingrédients d’une bonne relation entre finance et RH, mais aussi les sources de tension éventuelles, ainsi que les leviers potentiels pour améliorer cette relation. « Ce n’est nullement une fatalité de devoir s’entendre avec son CFO, note-t-il d’emblée. Mais c’est avant tout une question d’affinités entre les personnes. Il y a aussi une évolution des sujets. Quand j’ai démarré ma carrière, le chef du personnel était encore sous le contrôle du CFO et s’occupait essentiellement de la paie et de tâches administratives. Depuis, la fonction RH s’est émancipée et a développé énormément d’autres champs d’action. »
En 1984, André Leclercq est choisi comme responsable RH chez Ikea Belgique qui ambitionne alors d’ouvrir quatre magasins en six mois. « Il s’agissait de piloter l’installation du groupe dans notre pays et, donc, d’engager et de former 500 personnes. Après une visite dans le plus grand magasin du groupe en Suède, j’ai suggéré de nous inspirer de sa pratique d’ouverture du dimanche. Avec mon collègue directeur financier, nous nous sommes entendus pour monter un business plan et convaincre les syndicats. Ce fut un succès: entre 30 et 35% du chiffre d’affaires de la semaine était réalisé le week-end. Dans une autre entreprise, par contre, la relation n’a pas fonctionné et un tel projet n’aurait pas été possible, ou pas de cette manière. Nous avions là une sorte de ‘haine cordiale’ l’un pour l’autre: c’est vraiment une question de chimie. »
Lors de son expérience chez Volkswagen, la direction générale donne à l’équipe 12 mois pour améliorer une série d’indicateurs, dont la productivité et la qualité, de… 25%! « Une des pistes suivies a été de ‘transformer’ des ouvriers en clients pour connaître leurs perceptions des voitures qu’ils produisaient, raconte André Leclercq. Après avoir bien mesuré et pris en charge les contraintes – dont la question des assurances –, 2.000 personnes de l’entreprise ont pu repartir un soir avec une voiture sortant des chaînes de production pour la tester. Elles avaient toutes une check-list à remplir. Les ouvriers ont ainsi pu critiquer la qualité de leur produit, et prendre la pleine mesure de ces critiques. Sur base de leurs feedbacks, nous avons pu réinventer pas mal de choses. Cette opération ‘clé en main’ a été le résultat d’une connivence finance-RH développée en-dehors de la structure officielle d’un comité de direction. La qualité d’écoute facilite la créativité. Le rôle du CEO est d’accompagner cette relation. Pour moi, chaque sujet RH a une dimension économique. Le DRH doit se positionner comme un homme du business qui parle coûts, profits et parts de marché ».

Un nouveau DRH

Si la relation peut parfois apparaître tendue entre les CFO et DRH, une partie de l’explication peut résider dans l’évolution du rôle du DRH. Au moyen d’une étude menée périodiquement, le cabinet Mercer évalue les perceptions des DRH sur leur propre rôle. « La fonction RH est en pleine mutation depuis 20 ans, indique Koenraad Van Kerckhoven, Office Leader chez Mercer Belgium. Son rôle était auparavant essentiellement transactionnel. Il a progressé vers davantage de stratégie, mais cette évolution n’est pas encore aboutie. L’étude révèle ainsi que 66% des DRH sondés se considèrent comme un partenaire stratégique, même si seuls 38% sont reconnus comme tels par leur organisation. Il y a encore un écart entre ce que le DRH voudrait faire et les responsabilités qu’il a réellement dans son entreprise. En réalité, 15% de leur temps à peine est consacré à des tâches qu’ils considèrent comme stratégiques. »

« Le CFO est un client interne du DRH, tout comme l’inverse est également vrai. »

Parmi les défis qui attendent les départements RH, la rétention des talents (51%), le recrutement de ces talents (39%) et la création d’un environnement qui favorise une culture de la performance (33%), sont les plus importants. « Un partenariat entre RH et finance sera nécessaire pour faire face à ces défis, appuie Thierry Laloux, Client Development Leader chez Mercer. Pour ce faire, le DRH devra comprendre ce dont le business a besoin et maîtriser certaines compétences financières pour accompagner le changement. Les rapports qu’on qualifie de ‘chiens et chats’ peuvent, bien sûr, être corrigés. DRH et CFO partagent des objectifs communs comme le développement du leadership, la diminution de l’absentéisme, le recrutement de personnel qualifié ou encore la réduction des coûts. Le capital humain et le capital financier sont les deux richesses d’une entreprise. »

Indicateurs communs

Une discussion en panel a conclu cette après-midi de séminaire. Les expériences de Gauthier Saelens et d’André Leclercq ont été complétées par celles de deux profils encore différents. Ainsi, Pierre-Yves Fumière a-t-il exercé plusieurs fonctions financières jusqu’au niveau de directeur financier EMEA, dans des entreprises telles que Glaverbel, Guidant Europe, Guidant France, Abbott Vascular et ATS Medical. Au cours de sa carrière, il a également évolué au sein d’un département RH et plaide naturellement en faveur de la création de ponts entre les deux fonctions.
« Différents ingrédients sont nécessaires pour un duo CFO-DRH harmonieux, estime-t-il. Comme dans tous les ‘couples’, la relation doit être basée sur la confiance et la communication. Chacun doit s’intéresser à l’autre et à son métier. Le rôle du CEO est de s’assurer qu’ils ont les mêmes objectifs communs. Le CFO est un client interne du DRH, tout comme l’inverse est également vrai. Il a aussi une équipe à gérer, il compte sur son DRH pour l’aider à motiver ses collaborateurs et le soutenir pour recruter des profils de qualité. »
De son côté, Stéphane Kodeck est Business Unit Director Bus à la STIB. Il a mené une première carrière au sein d’Unilever dans différentes fonctions financières, avant de devenir General Manager HR Shared Services. Il a ensuite été Executive Director Corporate Services au sein de l’Union Nationale des Mutualités Libres, combinant responsabilité financière et RH. « Ces deux personnages parlent rarement le même langage, concède-t-il. Mais si un projet ne fonctionne pas, les deux fonctions auront dépensé de l’argent, du temps et de l’énergie pour rien. Il faut garder à l’esprit que toute initiative doit créer de la valeur et être rentable. C’est la raison pour laquelle ils doivent partager les mêmes indicateurs pour être à même de prendre les bonnes décisions. »

Deux rôles multiples

Se créer des espaces d’apprentissage du langage de l’autre apparaît crucial pour les différents intervenants du panel. Pour Pierre-Yves Fumière, « ces deux profils doivent quitter leur tour d’ivoire de temps en temps pour que l’équipe fonctionne bien et qu’ils se comportent bien en business partners. Je conseille souvent aux DRH et aux CFO de faire de temps en temps des visites en clientèle pour comprendre les besoins des clients et la réalité du marché. On pourrait aussi imaginer des initiatives du type ‘vis ma vie’ qui permettrait à chacun de bien mesurer les réalités de l’autre. »
Un des enjeux consiste à se sortir du dilemme « généraliste versus spécialiste », comme le souligne Stéphane Kodeck. « Il ne faut pas perdre de vue que DRH et CFO sont et restent deux fonctions de support. Il y a une notion de service à développer. Prenons la question des indicateurs, par exemple: rien ne sert d’en faire une obsession. Mieux vaut se poser les bonnes questions: que veut-on obtenir, et que doit-on mesurer pour cela et comment? En ce sens, l’équipe idéale est celle qui sollicite des profils et mobilise des compétences très différents. Le rôle du CEO est alors de bien choisir le duo et d’éviter de se faire greffer deux bras droits… »
Au cours de sa carrière, André Leclercq a eu l’occasion de voir d’innombrables manières de mesurer la performance et de les benchmarker internationalement. « Une conclusion s’impose: les indicateurs de performance ne manquent pas dans le domaine RH mais, surtout, ne mesurez pas tout! Ce qui est important, c’est le coût de la mesure comparé au bénéfice de savoir, ainsi que l’intérêt de la mesure pour rencontrer votre stratégie. L’outil doit fait réfléchir avant d’agir. » Un sujet de réflexion tant pour le DRH que pour le CFO…
Une certitude: le règne des CFO et DRH exclusivement centrés sur leur propre matière est bien révolu. « J’insiste pour que les membres du comité de direction soient des membres du comité à part entière et non des représentants d’un métier, conclut ainsi Gauthier Saelens. Ils doivent s’intéresser à tout. Dans un hôpital, le CFO comme le DRH doivent être à même de discuter des soins infirmiers comme de logistique ou de relation avec la patientèle. »

Texte: Florence Thibaut et Christophe Lo Giudice

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