Règles visant à lutter contre la sous-capitalisation: un mal nécessaire?
A défaut de telles mesures, il serait relativement aisé de réduire de manière drastique la charge d’impôts payé dans une juridiction via un endettement élevé (et donc des charges d’intérêts importantes) sans pour autant avoir une taxation correspondante au niveau du prêteur (par exemple parce que celui-ci est situé dans une juridiction à fiscalité plus clémente), de sorte que le taux effectif d’imposition au niveau du groupe diminuerait. La Belgique, compte tenu de son taux nominal d’imposition élevé, ne fait pas exception à cette tendance généralisée.
Principe
Le principe sous-tendant les dispositions ayant pour but de contrer la sous-capitalisation est simple: il consiste à considérer qu’une partie des intérêts payés par une entité ne sont pas déductibles lorsque certains ratios sont dépassés. Les ratios en question peuvent se situer au niveau du bilan (comparaison entre les fonds propres et certaines dettes) ou du compte de résultats (limitation des intérêts déductibles en fonction d’un pourcentage de l’EBIT).
Selon les pays, le rejet de la déduction fiscale d’une quote-part des intérêts peut être définitif (différence permanente) ou pas (différence temporaire). Ce rejet est basé sur le principe selon lequel la rémunération d’une dette, à savoir les intérêts, constitue en principe une charge déductible, alors que la rémunération du capital, à savoir les dividendes, n’est généralement pas fiscalement déductible.
La Belgique constitue un cas à part à ce sujet, vu que cette discrimination fiscale est partiellement gommée via la déduction pour capital à risque, les fameux « intérêts notionnels », qui permettent de bénéficier d’une déduction fiscale sur les fonds propres corrigés. Compte tenu des modifications apportées aux intérêts notionnels (plafonnement du taux et non-report des excédents courants), le gouvernement s’est inquiété du risque de recours accru à la sous-capitalisation pour optimiser la position fiscale d’entités belges, entraînant certaines modifications sur lesquelles nous revenons infra.
La sous-capitalisation en Belgique
Avant toute chose, il convient de noter que le droit fiscal prévoit une première mesure visant à lutter contre la sous-capitalisation, et qui vise à limiter, en fonction d’un ratio dettes/fonds propres de 1/1 les intérêts payés par une entité belge à, par exemple, un administrateur: cette disposition prévoit que les intérêts excédentaires sont considérés comme des dividendes, avec comme conséquences
d’une part, que les intérêts en question ne sont pas déductibles;
d’autre part, que les intérêts ainsi requalifiés deviennent, sous l’angle du précompte mobilier, soumis aux règles (et exemptions) prévues en matière de dividendes.
Cette mesure n’ayant pas été modifiée récemment, elle ne fera l’objet de commentaires additionnels dans la suite de cette contribution. La seconde disposition en matière de sous-capitalisation prévoit un rejet d’intérêts excédentaires lorsque certaines conditions sont remplies. Dans son « ancienne version », cette mesure prévoyait un rejet des intérêts payés lorsque:
le prêteur n’est pas soumis à un impôt sur les revenus, ou bénéficie d’un régime fiscal, pour les intérêts reçus, notablement plus avantageux que le régime standard belge (prêt « teinté »);
les prêts teintés excèdent sept fois les fonds propres définis comme étant la somme des réserves taxées au début de la période et du capital à la fin de la période.
Dans la « nouvelle » mouture, les modifications suivantes ont été apportées:
Outre les prêts teintés, rentrent également en compte comme « mauvais prêts » tous les prêts intra-groupe
Le ratio a été réduit de 7 pour 1 à 5 pour 1;
Une mesure anti-abus a été introduite lorsqu’un tiers accorde un prêt à une entité belge, et que ce prêt est garanti/financé par une société liée à l’emprunteur qui en supporte le risque, et que cette opération est principalement motivée par des considérations fiscales.
Conscient des répercussions possibles de ce renforcement de la mesure, le législateur a prévu certains allègements:
les prêts accordés par des institutions financières ne sont pas considérés comme des « mauvais » prêts (sous réserve de la mesure anti-abus évoquée ci-dessus);
les sociétés exerçant certaines activités spécifiques échappent, sous conditions, à l’application de la mesure en ce qui concerne leurs emprunts intra-groupe (pas leurs emprunts « teintés »): leasing mobilier, factoring ou leasing immobilier, partenariat public-privé;
Comme dans l’ancienne version, les obligations et autres titres analogues émis par appel public à l’épargne tombent hors du champ de la disposition.
Enfin, suite à un lobbying intensif, une mesure spécifique a été prise pour les sociétés de gestion centralisée de trésorerie: dans le cadre de leurs activités de cash-pooling, elles sont autorisées à calculer les intérêts dont la déduction est éventuellement soumise à limitation sur base nette, soit en prenant en compte la différence positive entre les intérêts payés ou attribués aux sociétés du groupe et les intérêts reçus ou obtenus de sociétés du groupe (sous conditions, notamment la conclusion d’une convention de gestion).
Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er juillet 2012.
Conclusion
La modification d’une des deux règles de sous-capitalisation s’inscrit bien évidemment dans un contexte budgétaire difficile, et est le résultat d’âpres négociations. Il va de soi que le renforcement de ces règles va amener certains acteurs à revoir leur stratégie en termes de financement d’opérations en Belgique.
Nous estimons toutefois que, si l’on compare les dispositions belges à celles existant dans d’autres pays, force est de constater que la situation pourrait être pire, surtout si l’on prend en compte le fait que le financement par fonds propres permet lui aussi de bénéficier d’une déduction fiscale, les intérêts notionnels, qui, malgré qu’ils aient été mis à mal, restent applicables.
Stéphane Jourdain (Deloitte)