«Le CFO n’est plus seulement le gardien du temple»

Jean-Baptiste Forissier

Chamboulée depuis plusieurs mois, la Fnac, enseigne bien connue des amateurs de places de concerts, de produits culturels et de loisirs, vient de faire son entrée en bourse en juin dernier. Membre du département financier du groupe depuis 18 ans, Jean-Baptiste Forissier, CFO des filiales belge et suisse, a entamé en parallèle un grand chantier de transformation des processus afin de soutenir la mue qui s’opère à travers tout le groupe. Depuis deux ans, l’antenne belge se rapproche de la maison mère dans une optique de rationalisation.

Si ce n’est une courte parenthèse dans l’audit, Jean-Baptise Forissier a effectué toute sa carrière auprès du géant culturel. Il voyage dans toute la France et s’expatrie ensuite en Grèce. Depuis ses débuts dans l’audit, le monde de la finance a bien changé. Son rôle à la Fnac s’est étoffé et son périmètre de responsabilité s’est étendu. « Il y a quelques années, j’étais davantage focalisé sur l’aspect technique du métier. L’aspect soft, change management et encadrement a pris plus d’ampleur. Je pense que cela va de pair avec l’évolution du métier. Le CFO n’est plus seulement le gardien du temple, il devient un homme orchestre, à la limite de la schizophrénie. On lui demande d’être plus impliqué dans le business. L’opérationnel est devenu tout aussi important que la trésorerie ou la comptabilité. Le challenge est à présent de réussir à faire le tri et hiérarchiser ses priorités ».
En Belgique depuis trois ans, il gère aussi le département financier de la filiale suisse depuis mars 2013 dans une logique de concentration des activités. Une de ses missions est d’accompagner le groupe dans sa phase de transformation. « Le contexte est particulier, soutient-il. On parle beaucoup de nous en ce moment puisque nous avons récemment fait notre entrée en bourse. L’activité restant assez difficile, nous cherchons à pousser l’efficacité de nos structures et améliorer ce qui peut l’être ».

Débuts français

Après des études de commerce avec une spécialisation en finance à l’Institut Commercial de Nancy, Jean-Baptiste Forissier démarre sa vie professionnelle en étant auditeur chez PwC dès 1991.
« J’ai un parcours assez classique pour un CFO. Quand j’étais étudiant, mon idée était de rentrer dans la vie active rapidement. Choisir une école de commerce me donnait une bonne ouverture. La fonction finance m’attirait déjà à ce moment là, se remémore-t-il. Je la voyais au cœur de l’entreprise. Démarrer par un des big four est un très bon début de carrière, c’est une sorte de 3ème cycle qui prolonge les études. En variant les projets, on continue à apprendre et on a l’occasion de préciser ses intérêts ». Après trois ans, le moment est venu de passer manager. « J’avais alors le besoin d’être impliqué dans l’opérationnel. Il me fallait changer de contexte ».
C’est le début de son parcours à la Fnac. Il rejoint le siège à Paris et prend la fonction d’auditeur interne. Après encore trois ans passés à voyager à travers toute la France, mais aussi à l’étranger, en Allemagne ou au Portugal, Jean-Baptise Forissier ressent l’envie de quitter le siège pour rejoindre le terrain. Il endosse alors la fonction de Responsable du contrôle de gestion pour le magasin de Bordeaux. Après cinq ans, il supervise toute la région île de France. Ensuite, l’envie de voyager se manifeste. « Mon souhait, toujours en restant dans la filière finance, était d’avoir une expérience à l’international ».

«Développer un projet dans un environnement culturel différent apporte énormément, y compris au niveau personnel»

Aventure grecque

Entre 2005 et 2009, il a ainsi l’opportunité de participer à l’implantation de la Fnac en Grèce et prend la casquette de directeur financier. Le challenge est de taille, mais se révèle passionnant. Il lui faut recruter son équipe, mettre en place les procédures et démarrer l’activité de zéro.
« Le contexte était très différent de tout ce que j’avais pu connaître avant. Nous sommes partis d’une page blanche. C’est l’expérience la plus marquante de ma carrière. Elle m’a appris énormément de choses utiles pour la suite, explique-t-il. Malgré l’appui du groupe, sur place, nous n’étions qu’une petite équipe. Humainement, cela a été très riche, même si cinq ans après, l’enseigne a quitté la Grèce du fait de la crise. Développer un projet dans un environnement culturel différent apporte énormément, y compris au niveau personnel. On arrive souvent avec beaucoup de certitudes à l’étranger or on a généralement plus à apprendre qu’à donner ».
Avec l’appui d’un partenaire local, le premier magasin ouvre à Athènes fin 2005. Avec une équipe réduite, les expatriés doivent choisir l’ensemble du personnel. »Nous étions à quatre dans un bureau vide ! Le timing était très réduit. Nous sommes arrivés en avril et l’ouverture était prévue à la fin du mois de novembre. C’était assez stressant, mais aussi très stimulant. Le recrutement a été un des challenges clés. Nous n’avions pas de repères, nous ne connaissions pas les écoles et le niveau de formation… Globalement on s’en est bien sorti. On a réussi à engager les bonnes personnes et notre partenaire grec nous a mis le pied à l’étrier sur certains sujets. Nous étions une petite structure, c’est aussi ce qui m’a plus. Cela permet une certaine proximité avec les gens. Au fil du temps, nous avons grandit pour atteindre 200 personnes et trois magasins ».

Retour en Belgique

Une fois le département financier de la Fnac grecque lancé, en octobre 2009, il accepte de prendre la tête des finances à Bruxelles. Avec 8 magasins (puis 9 en 2010 et l’ouverture du magasin de Toison d’Or), répartis sur tout le territoire, le défi est tout autre. « Le contexte de travail était très différent. La Belgique est la plus ancienne filiale du groupe hors de France. Elle a récemment fêté ses 30 ans. Les problématiques n’étaient pas du tout les mêmes. Ici, il fallait plutôt faire progresser l’organisation, challenger les processus et convaincre les collaborateurs de travailler autrement. Je suis passé d’une structure courte avec des profils polyvalents et des équipes très motivées, à une structure bien établie, avec plus de routine. Mon rôle a été très différent. Je suis content d’avoir enchaîné les expériences dans cet ordre là. Avoir voyagé permet plus de recul. Il ne faut jamais arriver en terrain conquis à l’étranger, c’est quelque chose que j’ai appris en Grèce ».
En mars 2013, il prend aussi la direction financière de la filiale suisse et se rend fréquemment sur place. Il gère ainsi une vingtaine de collaborateurs belges et une dizaine de suisses, dont environ la moitié a un profil de manager. « La structure suisse est assez similaire à celle de la Belgique. Sous ma responsabilité, j’ai un responsable comptable et un responsable contrôle de gestion qui m’épaule dans chaque pays. Ce sont des entités à taille humaine où on reste en prise avec l’opérationnel de manière directe et immédiate, c’est ce qui me plait ».
Sur une base quotidienne, ce qui lui prend le plus de temps, c’est le coaching de ses collaborateurs. Jean-Baptiste Forissier commente : « l’animation des équipes est un de mes rôles centraux, en particulier dans un contexte de réorganisation permanente. Pour soutenir les changements qui s’opèrent, qui sont assez lourds et peuvent être mal vécus, il faut réussir à embarquer tous les collaborateurs afin de moderniser nos processus. Je dois consacrer beaucoup de temps pour trouver des solutions, accompagner les gens et les faire monter en responsabilité dans leur périmètre. Dans cette optique, mon équipe doit s’appuyer de plus en plus sur les équipes en magasin pour tout ce qui a trait au contrôle de gestion et la vérification des procédures. Chaque directeur et manager en magasin doit prendre sa part. Nous avons tout un travail de pédagogie à effectuer pour embarquer le personnel de terrain sur des sujets qui ne sont pas sa tasse de thé  tel que l’amélioration du contrôle interne ».

« Je suis passé d’une structure courte avec des profils polyvalents et des équipes très motivées, à une structure bien établie, avec plus de routine »

Vigilance et créativité

Décidé depuis la France, le lancement en bourse du groupe Fnac a été réalisé en juin dernier. La Fnac vole désormais de ses propres ailes. « Le début du parcours boursier a été un peu difficile. L’action a baissé dès les premiers jours pour remonter depuis régulièrement depuis début juillet. Je pense qu’il faut le temps que la Fnac prouve sa capacité à se renouveler et être durablement rentable. C’est une étape importante dans l’histoire de la Fnac ».
L’impact pour les filiales belge et suisse, à 100% détenue par la France, est conséquent en matière de production d’informations, notamment dans le cadre de la publication de rapports semestriels, même si la plus grande partie de la communication financière se fait par la France.
« Ce n’est pas une révolution pour nous, même si être côté en bourse renforce nos obligations de reporting et surtout nous pousse à trouver les leviers pour améliorer fortement et durablement notre rentabilité. Nous serons jugés et sanctionnés directement par le marché, déclare Jean-Baptiste Forissier. Avec moins de collaborateurs, nous devons être meilleurs et plus rigoureux. Ce n’est pas impossible, mais cela demande beaucoup d’énergie et de remise en cause. En Belgique, la taille de mon équipe est deux fois moins importante que lorsque je suis arrivé. La tendance est à la concentration et à la rationalisation, c’est la raison pour laquelle je m’occupe désormais de deux pays. C’est un exercice intéressant, car il oblige chacun à réfléchir sur sa manière de fonctionner et de déléguer. Il faut évacuer l’inutile et se concentrer sur l’essentiel ».
Etant à la tête du département financier d’une filiale, le CFO est en contact permanent avec le siège de Paris. « Chaque mois avec le COO, nous présentons les résultats au comité de direction du groupe par conference call. Notre collaboration avec le groupe est très étroite. Chacun des membres de mon équipe a des interlocuteurs privilégiés en France. Nous sommes en relation quotidienne avec le siège. Nous sommes dans une logique de ponts qui va au delà de l’organigramme. Nous essayons le plus possible de nous approvisionner depuis la France pour limiter les circuits de distribution locaux ».

Rôle de contre-pouvoir

L’année dernière, Jean-Baptiste Forissier a ressenti le besoin de se faire accompagner par un coach. « J’ai souhaité bénéficier d’un coaching en change management et gestion de crise, afin de maintenir un bon niveau de motivation dans mon équipe. Mon coach m’a donné quelques pistes intéressantes ».
Il en profite pour prendre du recul et réfléchir à l’évolution de sa fonction. « J’avais aussi besoin de me poser et d’analyser la manière dont je travaillais. Comme de nombreux CFO, je ne compte pas mes heures, partage-t-il. Avec mes nouvelles casquettes, il me fallait me reconcentrer sur l’important et trouver la meilleure organisation, tout en faisant monter en puissance les bonnes personnes. Je ne peux plus faire autant par moi même que par le passé. En Grèce, par exemple, je travaillais beaucoup au niveau de la production des données financières, aujourd’hui, je dois davantage déléguer et m’appuyer sur mon équipe ».
Un CFO est aujourd’hui sollicité de toute part, ce qui complexifie encore un peu plus sa tâche, en témoignage son expérience. « De manière générale, la fonction se dirige vers une plus grande implication dans le business. Un CFO doit à présent être force de proposition pour améliorer les résultats de son entreprise. En étant business partner, il prend parfois le risque d’être à la fois juge et partie. Le job de CFO est pour moi un rôle difficile à résumer et qui varie selon les organisations. Chacun doit définir son propre rôle. La difficulté est de rester vigilant pour rester proche du scope de sa fonction et ne pas se laisser déborder. Il est important de conserver sa mission de contre-pouvoir, en particulier dans un contexte d’allègement des structures », achève Jean-Baptiste Forissier.