50+: « Les mentalités doivent changer! »

Le 21 septembre, la FEB organisait son événement annuel sur le thème des travailleurs plus âgés et de leur apport à l’économie belge, avec le soutien de Finance Management. « Le fait que les travailleurs quittent trop tôt le marché du travail est une responsabilité partagée entre les travailleurs, les employeurs et l’autorité publique », rappelle Pierre-Alain De Smedt, son président. Compte-rendu.

Plus de 1.100 personnes étaient réunies pour réfléchir au slogan « l’expérience est notre capital », recouvrant différents sujets d’actualité: le vieillissement de la population belge, la fuite des talents, les prépensions anticipées et le chômage chez les jeunes. Avec 500.000 travailleurs qui quitteront le marché de l’emploi dans les cinq prochaines années, l’emploi des 50+ devient un enjeu sociétal. La retraite anticipée, les crédits-temps et la prépension sont devenus des acquis, mais sont-ils soutenables? Et si travailler plus longtemps était avant tout synonyme de travailler différemment?
Nous vivons de mieux en mieux et de plus en plus longtemps, les années consacrées aux études sont en constante augmentation et l’espérance de vie n’a jamais été aussi élevée. Pourtant, les travailleurs belges s’arrêtent de travailler de plus en plus tôt. En 2010, le taux d’occupation des 55+ n’atteignait que 37%. Aux Pays Bas, ce chiffre s’élève à 54% et en Allemagne à 58%, or les conditions de santé et de travail y sont très semblables à celles de la Belgique. Malgré leur niveau de compétence et d’expérience, les 50+ sont étonnement peu mis en valeur dans nos entreprises. En 50 ans, les pensions se sont allongées de près de 7 ans. Avec un départ à la retraite moyen fixé à 58 ans, le Belge travaille quatre ans de moins que la moyenne européenne, ce qui met en danger l’équilibre budgétaire de la sécurité sociale.

Déséquilibre sur le marché

Parmi les éléments distinctifs du marché de l’emploi belge, on remarque un déséquilibre entre l’offre et la demande d’emplois. En effet, il y aurait pas moins de 100.000 postes vacants, malgré quelques 400.000 chômeurs. Pour le Président de la FEB, on pourrait parler d’une ‘conspiration du silence’. « Ma génération continue de sortir trop tôt du marché et cela se répercute sur les jeunes générations, indique Pierre-Alain De Smedt. Le travailleur aimerait profiter de la vie, donc souhaite arrêter de travailler tôt, ce qui arrange souvent l’employeur qui trouve que les travailleurs âgés coûtent plus cher et sont peu adaptables. Les syndicats ne réagissent pas, car ces personnes sortent des statistiques de chômage… Tout le monde sait qu’il y a un problème, mais la situation perdure. On peut parler d’une certaine hypocrisie générale. »
Pour mieux comprendre les lacunes belges, Luc Sels, doyen de la faculté économique à la K.U.Leuven, a récemment réalisé une étude portant sur le changement démographique au sein de la population active et son impact sur le marché belge. Son équipe s’est plus particulièrement intéressée aux flux entrants et sortants attendus sur le marché du travail dans les cinq prochaines années. Si, aujourd’hui, 67,2% des 20-65 ans travaillent, le gouvernement fédéral espère atteindre le taux de 73,2% d’ici 2020, le but étant de mettre 55% des plus de 55 ans au travail d’ici là.

« La productivité ne décroît pas forcément avec l’âge, elle évolue. »

« A politique inchangée, nous prévoyons que le taux d’emploi des 55+ ne dépassera pas 42% à l’horizon 2020, relève toutefois Luc Sels. On s’intéresse peu à l’impact direct du vieillissement sur le fonctionnement du marché du travail, il s’accompagne d’une progression rapide du flux de sortie de la vie active. Nous sommes en plein dans cette phase, la génération des baby boomers est en train de quitter massivement le marché laissant de nombreux postes vacants. »

Pression sur le marché

Outre le secteur public, les secteurs les plus touchés seront le transport et la logistique, le textile et l’habillement, les fabrications métalliques et les services aux entreprises, comme la consultance. La situation serait particulièrement sérieuse en Flandre, le VDAB mesure le phénomène grâce à un indicateur de tension (le nombre de demandeurs d’emploi inoccupés par emploi disponible, calculé comme moyenne mobile sur 12 mois). Si celui-ci est inférieur à 4, on estime que le marché du travail souffre d’une pénurie importante. En mars 2011, l’indicateur stationnait à 3,4, le changement démographique y étant pour beaucoup.
« Si aucune décision politique n’est prise pour modifier les conditions de départ à la retraite, toute une génération de travailleurs va quitter le marché de l’emploi et le nombre de jeunes prêts pour les remplacer ne sera pas suffisant, il faut absolument rétablir cet équilibre. La forte demande de remplacement est susceptible de renforcer la pression sur le marché du travail et d’accélérer la pénurie, qui elle même peut intensifier les départs volontaires. En bref, c’est tout un cercle vicieux qu’il faut enrayer », conclut-il. La recherche formule ainsi quelques recommandations au monde politique, notamment celle de réaliser une analyse démographique plus précise et par secteur, de retarder les départs, d’adapter les coûts salariaux et de renforcer les opportunités de réinsertion.

Changement de mentalité

Ces 40 dernières années ont en effet perpétué une culture du départ ancipité. Seuls 5,2% de tous les engagements concernent un travailleur de plus de 50 ans. « Lors de la crise pétrolière des années 70, on a instauré la prépension pour faciliter le départ des plus âgés et laisser la place aux jeunes travailleurs au chômage, ce qui s’est révélé désastreux au niveau macro-économique, commente Rudi Thomas, administrateur délégué de la FEB. Dans les pays où de nombreux travailleurs plus âgés sont actifs, on constate que les jeunes trouvent en général plus facilement un poste. En effet, sur un marché dynamique, l’emploi des uns génère l’emploi des autres. »
Pierre-Alain De Smedt surenchérit: « La première chose à faire pour garder les seniors plus longtemps consiste à modifier l’idée que les travailleurs seniors sont, par définition, moins productifs, moins flexibles et beaucoup plus chers. La productivité ne décroît pas forcément avec l’âge, elle évolue. Elle peut se traduire en expérience et en relations. On peut également maintenir sa productivité en étant ouvert sur de nouvelles choses et en misant sur de nouvelles compétences. Ce n’est pas un défi pour demain, mais bien pour aujourd’hui, étant donné que l’on a atteint le point de non-retour, le nombre de personnes quittant le marché chaque année dépassant à présent le nombre d’entrants. »

Des réformes allemandes

L’exemple allemand a été évoqué à l’occasion de ce forum. Sur demande de l’ancien chancelier Gerhard Schröder, une commission spéciale de spécialistes s’est réunie en 2002 pour s’atteler à la question du chômage sous l’impulsion de Peter Hartz, alors directeur du personnel chez Volkswagen. Les propositions définies par la commission « services modernes sur le marché du travail » ont fait partie de l’agenda 2010 ayant permis à l’Allemagne de renouveler son marché de l’emploi. La commission désignée est partie de l’idée qu’il faut impliquer la société dans son ensemble.
« Il faut trois choses pour réduire le chômage: le pouvoir politique pour agir, les ressources nécessaires et les idées, témoigne Peter Hartz. Entre 2003 et 2005, notre mission était d’à la fois imaginer un nouveau concept d’aide au réemploi et de mettre en place une nouvelle structure et des modalités d’exécutions novatrices. L’ancien bureau fédéral de l’emploi ne permettait plus d’encadrer efficacement les quelques cinq millions de chômeurs qui existaient alors. Il est important de mentionner que ce type de programme prend du temps et doit s’installer dans la durée. »

« Il est certain que les mesures indispensables auront un coût qui ne sera pas négligeable. »

Treize modules de propositions ont été communiqués aux pouvoirs publics. Parmi les mesures proposées par la cellule de réflexion, quatre ensembles de propositions se dégagent: Hartz I prévoit un assouplissement du travail intérimaire et davantage de possibilités de formation professionnelle; Hartz II met en place des aides à la création d’entreprise, l’introduction de « mini-jobs », la revalorisation du travail intérimaire et la création de centres multi-emplois; Hartz III vise une réforme de l’agence fédérale du chômage et Hartz IV limite les allocations de chômage à 12 mois.
En pratique, après un an, les allocations sont réduites à 364 euros par mois et les chômeurs obligés (dans certaines limites) d’accepter une offre d’emploi sous peine de perdre leurs allocations. Une augmentation de l’âge légal de la pension à 67 ans était également envisagée pour tenir compte de l’évolution démographique. Si les lois Hartz semblent être une réussite et ont permis de réduire de deux millions le nombre de chômeurs, Peter Hartz insiste sur le fait que sur les trois millions de chômeurs restants en Allemagne, deux millions sont toujours des chômeurs de longue durée.

Un marché peu accessible

Dans son rapport 2011 sur la Belgique, l’OCDE constate l’instabilité du marché du travail belge. Le taux d’activité global se situe à 68% quand, en Suède, il est de 78%, en Autriche et en Allemagne de 75% et en France de 70%. Pour Jens Hoj, Responsable de la division Belgique-Pays-Bas à l’OCDE, le marché belge possède plusieurs défauts et non des moindres.
« Les jeunes peinent à rentrer dans la vie active, quand les travailleurs plus âgés cherchent à quitter rapidement le monde du travail, résume-t-il. Les salaires minimums sont également très élevés, cette politique salariale impacte la compétitivité de l’industrie belge. Le problème ne concerne pas seulement les travailleurs plus âgés, mais aussi les femmes et les travailleurs immigrés. D’une manière générale, l’intégration pose problème en Belgique. »
Cette situation peut à la fois s’expliquer par la complexité du marché du travail, mais aussi par certaines décisions politiques hasardeuses. En effet, lors de la crise pétrolière des années 70, différents programmes ont eu pour conséquence de pousser les travailleurs expérimentés vers la sortie pour laisser la place aux jeunes, des initiatives qui se sont révélées peu efficaces. La Belgique connaît aujourd’hui un des âges effectifs de départ à la retraite les plus bas au sein de l’OCDE.
« La génération qui va prendre sa retraire d’ici peu, connaîtra la plus longue période d’inactivité de l’histoire belge, ajoute-t-il. Il semble tout à fait logique, d’anticiper ces changements et d’augmenter l’âge de la pension légale. Le travailleur belge doit comprendre qu’il ne peut plus s’arrêter de travailler à 50 ans. Pour ce faire, il faut notamment réduire l’attrait financier de la pension anticipée et repenser le système de taxation. »

Des carrières plus longues?

Partenaires sociaux, associations patronales et pouvoirs publiques ont tous leur avis sur la question, mais ne trouvent pas toujours de terrain d’entente. « Maintenir les gens au travail est une piste, c’est une option logique dans un contexte où la population vieillissante reste en bonne santé plus longtemps, mais cela ne suffira pas. Il nous faudrait une bonne dose de courage politique », souligne Pierre-Alain De Smedt.
« Actuellement, on estime qu’un ratio de 138 personnes vivent aux dépens de 100 travailleurs, précise pour sa part Wim Van der Beken, Directeur Général d’IDEA Consult. Ce déséquilibre accompagné d’une pénurie de travailleurs qualifiés, oblige les employeurs à garder leurs employés plus longtemps. Le comblement du fossé entre l’âge réel et l’âge légal de la pension est une des dimensions importantes. »
Outre une limitation de la prépension, l’OCDE envisage aussi un régime de fixation des salaires différent. « Depuis le milieu des années 90, la norme salariale est associée à la hausse de la productivité dans le pays, ce qui fonctionne bien, surtout si la productivité est plus élevée que dans les pays voisins, indique Jens Hoj. L’indexation automatique des salaires provoque de fortes augmentations de salaire lors de pics d’inflation. Les coûts salariaux ont augmenté de plus de 10% de plus que dans les pays voisins depuis 1995. Avec pour conséquence qu’environ 100.000 emplois n’ont pu être créés. »
L’expert de l’OCDE constate également que le pays manque de volonté politique pour prendre les mesures adéquates. Du côté des entreprises, certaines comme Belgacom, ont mis en place un plan d’action RH spécifique pour garder leurs travailleurs seniors en partant de la question suivante: comment créer des conditions de travail de qualité, pour les plus âgés comme pour les plus jeunes? Parmi les éléments de réflexion mis en avant par une étude de bonnes pratiques, on peut souligner l’amélioration du confort grâce à des interventions ergonomiques, la promotion de la santé au travail, davantage de formations et de planification de carrière, une redistribution du temps de travail ou une offre d’aménagement de fin de carrière (préparation à la pension, réorientation, adaptation des besoins)…
Du côté des syndicats, on envisage la situation avec un angle sociétal. « Lorsque l’on considère l’intégration des 50+, il est nécessaire d’avoir une vision plus globale du marché du travail et analyser la présence des travailleurs immigrés, des femmes, des jeunes, conclut Bernadette Segol, secrétaire générale de la Confédération Européenne des Syndicats. La question de l’âge de la retraite ne doit pas être centrale dans le débat. Il est certain que les mesures indispensables auront un coût qui ne sera pas négligeable, il faut voir le temps de travail et la productivité différemment. »

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