«La finance est un people’s business »

B.Frenay

Banquier depuis sa sortie de l’université, Bernard Frenay occupe aujourd’hui la fonction de Head of Finance, Procurement and Facility Management chez Euroclear. Passionné par le secteur bancaire, il entame son parcours à la Générale, puis connaîtra ensuite les belles années de Fortis avant de rejoindre la banque des banques en décembre 2009 à la tête de ses finances.

Diplômé de l’ICHEC en gestion avec une orientation finance en 1989, Bernard Frenay choisit de débuter par un stage à la Générale de Banque, séduit par les perspectives de carrière offertes par les acteurs bancaires. Il y change de services tous les trois mois et découvre différentes fonctions. « J’étais, à l’époque, attiré par la complexité des grands acteurs et la palette d’activités qu’on pouvait y retrouver, confie-t-il. Lors de ce stage, j’ai eu l’occasion de passer du temps en agence et au siège, dans les départements crédit et commercial, avec un détour par la salle des marchés. Cette expérience m’a donné une ouverture et un bon avant-gout de plusieurs métiers. Ce côté touche-à-tout s’est retrouvé dans la suite de ma carrière. »
A travers son parcours à la Générale, puis chez Fortis, il a l’occasion de déchiffrer le terrain en matière d’ALM, de rationnaliser les salles de marché et de plancher sur les IFRS, avant d’harmoniser les systèmes comptables au sein du groupe et de gérer le contrôle de l’information financière de bout en bout. Mouvementée, l’histoire devant aboutir à l’actuelle BNP Paribas Fortis s’inscrit en filigrane de son parcours.

Expérience de recherche

Après son stage, Bernard Frenay participe à un groupe de recherche sur l’ALM, encore très embryonnaire à l’époque. Prenant goût à la matière, il y consacre huit ans. « On était alors aux débuts de la modélisation financière. Notre petite équipe était très diversifiée et comprenait des financiers, un statisticien, un ingénieur spécialisé en mathématiques… Nous n’étions que huit et la moyenne d’âge tournait autour de 30 ans. J’ai pu y nouer des relations de travail privilégiées, ce qui est rare dans une organisation de cette taille. C’était un projet très stimulant. On faisait, en quelque sorte, de la R&D en finance. »
L’équipe dédiée au projet a le luxe de pouvoir innover. On lui donne carte blanche. « On nous permettait de tout apprendre et tout tester, raconte-t-il. Dans les années ‘90, il y avait une concurrence effrénée entre les banques, certaines cassaient les prix. Nous devions également nous assurer que la politique commerciale restait équilibrée. J’ai énormément apprécié cette opportunité, elle m’a permis de comprendre tous les aspects du bilan d’une banque. J’y ai appris énormément de choses, comme par exemple, à mesurer les risques des taux d’intérêt et modéliser les carnets de dépôt. »

Nouveau mastodonte

Au début des années 2000, le rachat de la Générale par le géant Fortis change la donne. Trois fusions plus tard, l’équipe ALM belge doit s’aligner avec quatre autres équipes, ce qui est loin d’être une mince affaire. « Nous essayons alors de rapidement donner la même vue de la gestion du risque et des bilans à toutes les organisations, de mettre en commun les méthodologies pour tous partager la même vision, ce qui ne se fait pas sans peine, mais qui était la meilleure façon de travailler à mon sens. Cependant, cela équivalait pour moi à refaire ce que j’avais déjà construit. J’ai eu envie de découvrir autre chose… »
En 2000, Bernard Frenay prend ainsi la fonction de Performance Manager Merchant Banking, désormais chez Fortis et a l’opportunité de rationaliser les salles de marché au sein du groupe. « Mon ancien manager reprenait toutes les activités de marché pour le groupe. Elles y étaient très éparses. Il y avait une salle à Amsterdam, à Luxembourg, à Londres, New York… Chacune travaillait sur son propre système avec sa méthodologie de reporting et ses outils dédiés. Mon rôle a été d’homogénéiser les manières de travailler et de créer des synergies. »
Dans ce rôle, Bernard Frenay se consacre à migrer les trois salles du Benelux sur une seule plateforme commune hébergée à Bruxelles, alors la plus grande entité. Son mission est principalement d’uniformiser les rapports financiers. « Nous avons harmonisé tout le ‘front office’ et centralisé le ‘back office’. En matière de gestion des risques, cela permettait de tout contrôler sur le même environnement. C’était un gros travail. J’ai passé beaucoup de temps à aller voir les uns et les autres pour les convaincre. » Progressivement, sa fonction s’étoffe, jusqu’à prendre la responsabilité des finances au sein de l’activité private equity, custody et corporate banking.

Découvertes comptables

En 2004, les normes IFRS commencent à faire parler d’elles. Leur intégration est prévue sur trois ans chez Fortis. Souvent vues comme exclusivement comptables, elles ont pourtant un impact important sur les départements financiers.
« Très complexes, elles ont des conséquences sur le fonctionnement des salles de marché. Le référentiel comptable influence la manière dont le business s’organise et joue sur la volatilité. Pour s’y aligner, la partie de change management ne doit pas être sous-estimée, défend Bernard Frenay. En m’impliquant dans ce projet passionnant, mon rôle a été d’expliquer aux traders comment ces normes allaient modifier leur fonction. »
En parallèle, on lui propose ensuite d’œuvrer à l’implémentation d’IAS39 sur toute la zone Benelux depuis Bruxelles. « J’anime ces travaux à l’échelle du groupe, indépendamment des activités de salles de marché. Cette dimension ‘groupe’ me donne une grande ouverture. A ce moment-là, je n’avais jamais touché le domaine de l’assurance, j’ai découvert un nouveau monde. J’ai eu l’opportunité de travailler avec toute une série d’acteurs, dont les auditeurs, c’était très enrichissant. »

« En période de crise, on est souvent capable de choses dont on ne soupçonne pas »

Architecture logicielle

Au tournant de l’année 2005, le groupe Fortis est en plein développement. Il décide de se lancer dans un énorme chantier d’harmonisation des systèmes bancaires comptables, chaque pays utilisant alors la plateforme de son choix. Bernard Frenay accepte de relever le défi et passe responsable des projets.
« Après avoir harmonisé les solutions des salles de marché, une nouvelle aventure s’offre à moi. Très ambitieux, l’objectif était de déterminer l’architecture financière et bancaire requise sur un ERP commun, de la créer, puis de la mettre en place, et ce sur un laps de temps de cinq ans. L’idée était de faire converger les plateformes progressivement. Pharaonique, ce type de projet est souvent voué à l’échec suite à un manque de ressources. »
Il gère ainsi une équipe d’une dizaine de profils complémentaires chargés de dessiner le logiciel comptable du futur. Le projet de recherche est surnommé Saint-Exupéry en interne. « En 2006-2007, Fortis explose encore les compteurs et réalise des bénéfices nets très importants. Le début du projet a été très intéressant, même si, on peut s’en douter, il n’a pas abouti. J’ai eu l’occasion de gérer un groupe de réflexion multidisciplinaire composé d’experts sur le terrain. Nos recherches étaient très riches et l’exercice intellectuel était bouillonnant. Notre démarche se voulait pragmatique. On partait d’une page blanche, c’était un luxe extraordinaire. Tout semblait possible. Notre ambition était, en quelque sorte, de créer le système comptable idéal. »

Urgence financière

En 2007, Fortis engloutit l’immense ABN Amro, ce qui constitue une des plus grandes acquisitions jamais réalisées dans le secteur bancaire. Toute l’énergie du groupe est redirigée sur l’intégration à préparer. Le vaste projet de consolidation n’est plus la priorité, surtout que la crise des subprimes s’annonce déjà. L’été 2007 signe le début de la crise des liquidités. Bernard Frenay prend en charge la partie opérationnelle et comptable de l’intégration d’ABN.
« Mon équipe compte alors 800 personnes. Nous devions gérer deux mille milliards de pieds de bilans. C’est la période la plus stressante et la plus intense de ma carrière. Suite à la crise, les activités de Fortis ont été démantelées en un weekend. Les activités aux Pays-Bas sont devenues propriété de l’Etat néerlandais. Mon équipe de consolidation était basée à Utrecht sur le payroll hollandais. J’avais toujours une équipe en Belgique, mais plus aux Pays Bas! Nous avons dû trouver des solutions en interne extrêmement rapidement, » se remémore-t-il.
La pression est énorme sur les juristes, les financiers, la trésorerie… Une restructuration s’organise à grande vitesse. « Il fallait pouvoir donner une image comptable très rapide de activités. L’ambiance s’en est ressentie, surtout que tout le monde avait perdu beaucoup d’agent. Beaucoup d’employés étaient actionnaires de la banque. Certains collègues ont perdu des fortunes. Il fallait, malgré tout, continuer et clôturer les comptes à temps. Le défi était énorme. Ce qui m’a frappé à cette période, c’était la cohésion des équipes. En période de crise, on est souvent capable de choses dont on ne soupçonne pas. »
En janvier 2008, Bernard Frenay endosse la fonction de Deputy CFO pour une période de deux ans. Le 12 mai 2009, c’est le moment de la reprise par BNP Paribas. « J’ai passé 20 ans dans le groupe, me retrouver de l’autre côté de la barrière ne m’a pas trop plu. Recevoir des lignes de conduite du siège à Paris rendait la marge de manœuvre très réduite. J’ai eu envie de changer d’horizon…  »

Le calme après la tempête

Hasard du timing, le groupe Euroclear le contacte à l’été 2009 pour lui proposer la fonction de Head of finance. Evalué AA+ par Standard& Poor’s , le groupe jouit d’une grande stabilité depuis plusieurs années et comprend alors Euroclear Bank, basée à Bruxelles, Euroclear Belgium, Euroclear Finlande, Euroclear France, Pays Bas, Suède, UK et Irlande. Bernard Frenay accepte de prendre la responsabilité de tous les aspects financiers du groupe: comptabilité statutaire, budgétisation, reporting de gestion…
« Cette proposition me semblait presque trop facile! La gestion des finances y était saine et semblait sans histoire. Cependant, plusieurs éléments pouvaient être améliorés et harmonisés, j’ai donc accepté cette mission, » confie Bernard Frenay. Depuis trois ans, le département financier ne s’est pas reposé sur ses lauriers et a notamment mis en place un Shared Services Center en Belgique, consolidé 22 entités et changé de plateforme IT. « J’ai été engagé pour restructurer la fonction Finance. Nous avons, entre autres choses, accéléré nos délais de production. Nous sommes passé de J+15 à J+4. » En mai 2012, il prend la fonction de Head of Finance, Procurement & Facility Management.

« C’est un luxe de pouvoir bâtir sur cette stabilité et de travailler sur le long terme. »

Banque à taille humaine

Jouissant d’une réputation de partenaire de confiance, Euroclear n’est pas coté en Bourse, ce qui la met à l’abri de la pression du marché. Le groupe emploie 3.500 employés dont 2.500 en Belgique. Sa stratégie s’est révélée payante, puisqu’il a traversé la crise sans y laisser trop de plumes. La stabilité de l’organisation est, pour Bernard Frenay, un de ses atouts majeurs.
« C’est cette stabilité quotidienne qui m’a séduit. Ne pas être en bourse nous permet une grande autonomie et une bonne assise financière. C’est très agréable de travailler dans un tel contexte. On a le temps de prendre du recul. C’est un luxe de pouvoir bâtir sur une cohérence et de travailler sur le long terme. L’aspect multiculturel des projets et des équipes est aussi une des grandes richesses. Nous côtoyons près de 80 nationalités. »
Centralisé à Bruxelles, le département finance de la banque compte environ une centaine de collaborateurs, certains répartis à Londres, Paris, Stockholm, Cracovie ou Helsinki. Cent autres sont rattaché au procurement & facility management. « D’un point de vue purement financier, l’activité n’est pas extrêmement complexe, il s’agit essentiellement de factures entrantes et sortantes. Le cas de la banque est un peu différent. »

Maturité commune

Le prochain défi de Bernard Frenay sera de faire progresser le niveau de maturité du département financier. « Le plus challengeant pour moi est d’amener une certaine maturité commune, c’est un défi quotidien. Les niveaux varient selon les départements et les chefs de projet. C’est le désavantage de travailler dans une banque très rentable et où tout va bien. C’est humain, quand tout fonctionne, améliorer l’existant n’est pas toujours la priorité. Pourtant, on peut toujours devenir plus efficace. Mon cheval de bataille est de lutter pour être toujours plus efficient. »
Jusqu’en 2008, le groupe profite d’une croissance continue depuis 40 ans. Pour la première fois, il connaît une décroissance de ses résultats. « Mon rôle est de contribuer à changer la manière de penser, conclut-il. Il faut faire attention aux chiffres quoi qu’il se passe et avoir ses couts sous contrôle en permanence. Comme dans toutes les entreprises de services, coacher les équipes, vendre les idées et les tester, définir la direction à prendre, est ce qui me prend le plus de temps. La finance est un people’s business, il ne faut pas l’oublier. Ce ne sont pas les machines ou les logiciels qui comptent, mais les gens. Il faut les trouver, les former et, surtout, les garder. »