Clauses d’ajustement de prix et clauses indemnitaires

Finance Management

Un « share deal » se matérialise par une convention de cession des actions. Une telle convention comprend généralement des clauses de garantie ou des clauses d’ajustement de prix. Le traitement fiscal d’une clause d’ajustement de prix et celui d’une indemnité sont très différents.

1. Une acquisition d’une entreprise peut se réaliser sous la forme d’une acquisition des actions de la société concernée (« share deal ») ou sous la forme d’une acquisition des actifs (« asset deal »). Bien souvent, l’opération prend la forme d’une acquisition des actions (« share deal »). Ce choix est motivé par le fait qu’il permet d’assurer très facilement le changement de contrôle, sans trop de formalités particulières, tant vis-à-vis du personnel et des collaborateurs de l’entreprise que vis-à-vis des tiers (clients et fournisseurs).

Le « share deal » offre également un avantage important pour le vendeur en droit fiscal belge en raison de l’exonération (en principe) des plus-values réalisées sur actions, alors que les plus-values réalisées dans le cadre d’une cession d’actifs sont imposables.
D’un point de vue purement fiscal, l’acquisition d’actions est, par contre, moins intéressante pour l’acquéreur. Certes, il ne devra pas supporter les frais de transferts sur la cession des actifs (avantage important surtout lorsque le transfert comporte des immeubles dont la cession est soumise aux droits d’enregistrement de 10% ou 12,5%), mais il ne pourra pas amortir le goodwill d’acquisition (différence entre la valeur comptable/fiscale des actifs et leur valeur de cession). De plus, s’il se finance par emprunt, il ne pourra pas déduire les intérêts dus sur les revenus générés directement par les actifs de l’entreprise acquise (absence de consolidation fiscale).

2. Un « share deal » se matérialise par une convention de cession des actions. Une telle convention comprend généralement des clauses de garantie ou des clauses d’ajustement de prix par lesquelles le vendeur garantit la situation financière et fiscale de la société dont les actions sont cédées et s’engage, en cas de violation d’une garantie, soit à indemniser l’acheteur des dommages subis, soit à adapter le prix.

3. Ces clauses contractuelles de « garanties » au sens large peuvent être classifiées en fonction de leur nature juridique, à savoir, soit une garantie générant le paiement d’une indemnité, soit un ajustement de prix de vente entraînant une réduction du prix de vente et son remboursement partiel. Le traitement fiscal d’une clause d’ajustement de prix et celui d’une indemnité sont très différents.

En effet, la clause d’ajustement du prix d’actions acquises, en règle générale, ne modifie pas la base imposable des parties. Le prix définitif des actions est simplement adapté ou corrigé. L’acquéreur aura une valeur d’acquisition inférieure. Le vendeur réduira son résultat sur la cession des actions, mais la plus-value sur actions est le plus souvent exonérée et la moins-value est toujours non déductible fiscalement.
Par contre, l’octroi d’une indemnité va générer un revenu imposable dans le chef de l’acquéreur bénéficiaire indemnisé et une charge professionnelle déductible dans le chef du vendeur. L’absence de réglementation spécifique donne toute son importance à la structuration contractuelle de cette matière.

Nature juridique

4. La législation fiscale belge ne fournit aucune disposition spécifique sur les clauses de garanties contractuelles. Dès lors, la qualification d’indemnité ou de réduction du prix sera déterminée par le droit commun. Le droit civil, quant à lui, interprète l’obligation d’indemniser comme une correction du prix de vente en l’absence d’autre classification déterminée par les parties (article 1644 du Code civil).

5. Dans la pratique, il est parfois difficile de distinguer les clauses d’ajustement de prix des clauses indemnitaires. Il est également fréquent que certaines clauses soient mixtes, comprenant, pour partie, une clause d’ajustement de prix et, pour une autre partie, une clause indemnitaire. En tout état de cause, lors de la rédaction d’une convention de cession d’actions, la prudence recommande de préciser clairement la nature des garanties et des indemnités. Dans un tel cas, certains critères sont utilisés afin de permettre de qualifier les clauses litigieuses.

• Lorsque le bénéficiaire d’une garantie est la société cédée elle-même, la clause est inévitablement considérée comme une clause indemnitaire. Une clause au bénéfice de l’acquéreur peut toujours être classifiée comme une clause d’ajustement de prix ou une clause indemnitaire.
• Une garantie sans limitation au prix de vente peut être plus facilement considérée, à tout le moins partiellement, comme une clause indemnitaire. C’est d’autant plus le cas lorsque le prix de la cession est faible. Au contraire, une garantie avec limitation au prix de vente sera plutôt de nature à constituer une clause d’ajustement de prix.
• Lorsque la convention mentionne un prix définitif pour la transaction, la clause de garantie sera généralement considérée comme une clause indemnitaire.
• Lorsque la clause de garantie est conclue postérieurement à la convention de cession des actions, elle sera vraisemblablement classifiée comme une clause indemnitaire.

6. Selon la Commission des Normes Comptables (avis n° 126/15), lorsque le prix de vente a été déterminé inter alia par référence aux garanties proposées par le vendeur ou l’acquéreur, le paiement d’une indemnité devrait être traité en tant qu’ajustement de prix. Cette position est cependant critiquée par la doctrine. En effet, les parties sont libres de déroger à la classification en tant qu’ajustement de prix au sens du Code civil.

Clause d’ajustement de prix

7. La clause d’ajustement de prix vise à ajuster le prix de cession des actions. Cet ajustement de prix peut être justifié par différents évènements. Il peut s’agir de l’établissement des états financiers définitifs postérieurement au ‘signing’ ou encore d’une clause dite ‘earn out’ (ou garantie de profit) lorsque le prix est déterminé sur la base de la capacité bénéficiaire de la société cédée. L’ajustement de prix peut également s’appliquer lorsqu’un dommage latent est révélé après la cession.

8. Dans le chef de l’acquéreur, l’ajustement du prix est reflété dans les comptes par une augmentation ou une diminution de la valeur d’acquisition des actions. Il n’a par conséquent aucun impact sur le compte de résultats de l’acquéreur. Sur le plan fiscal, il n’y a aucun impact sur la base d’imposition (article 25, 4° du CIR92).

9. Dans le chef du vendeur, l’ajustement de prix se traduit, dans le cas d’une diminution du prix de vente, par une diminution de la plus-value ou une augmentation de la moins-value. Lorsque le vendeur (société) réalise une plus-value sur actions, celle-ci est, en principe, exonérée dans son chef si les actions bénéficient du régime des RDT (article 192 du CIR92). Inversement, la réalisation d’une moins-value réalisée à l’occasion d’une cession d’actions n’est jamais déductible fiscalement (article 198, 7° du CIR92). L’ajustement de prix n’aura aucun impact fiscal dans le chef du vendeur (personne physique) si la vente a été réalisée dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé.

Clause indemnitaire

10. La clause indemnitaire vise à indemniser soit l’acquéreur, soit la société cible, à l’occasion de la survenance de la responsabilité future telle que définie dans la convention de garantie.

11. L’indemnité est traitée comme une charge exceptionnelle prise en compte de résultats dans le chef du débiteur de celle-ci. Elle constitue un élément déductible de la base imposable (article 49 du CIR92).

12. L’indemnité est traitée comme un produit exceptionnel pris en compte de résultats dans le chef du bénéficiaire. Elle constitue dès lors un revenu imposable (article 23, § 1er du CIR92). La clause indemnitaire n’aura aucun impact fiscal dans le chef du vendeur (personne physique) si la vente a été réalisée dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé.

Clause de « gross-up » et d’effet fiscal

13. Le régime fiscal de la clause de garantie donne parfois lieu à l’insertion, dans la convention de cession des actions, d’une clause de « gross-up » afin de permettre à l’acquéreur d’obtenir une indemnisation complète après toute charge fiscale sur l’indemnité à recevoir. C’est évidemment un coût supplémentaire pour le vendeur. Inversement, les parties peuvent convenir de tenir compte dans le calcul d’une indemnité, de l’avantage résultant pour la société « cible » de l’économie fiscale liée à la charge, dans son chef, du dommage dont l’acquéreur demande l’indemnité. C’est ici une réduction de l’indemnité à payer par le vendeur.

Ces clauses doivent tenir compte de la nature de l’indemnité et de son régime fiscal dans le chef du vendeur, de l’acquéreur et de la société cible. Dans le cadre de la négociation de telles clauses, il est également utile de tenir compte de la situation fiscale des parties (entités belges ou étrangères, pertes fiscales reportées ou autres déductions fiscales, etc.).

Conclusion

14. Les conséquences comptables et fiscales liées aux clauses de garanties et aux clauses d’ajustement de prix conclues dans le cadre d’une convention de cession d’actions sont tout à fait différentes. Les parties peuvent convenir librement de la qualification qu’elles entendent donner à leurs accords. Elles doivent toutefois le mentionner clairement pour éviter toute discussion, non seulement entre elles, mais également vis-à-vis de l’administration fiscale. Il convient donc d’apporter une grande attention à ces clauses lors de la négociation et lors de la rédaction d’une convention de cession d’actions.

Texte: Xavier Gérard et Benoît Nibelle
Les auteurs sont avocats au Barreau de Bruxelles et peuvent être contactés via xgerard@nibelle-law.be

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