« Le CFO ne peut plus seulement être celui qui agite le drapeau rouge »

Depuis une dizaine d’années, le rôle et le profil du directeur financier sont en pleine évolution. De score keeper et comptable-en-chef, il devient le chef d’orchestre d’une équipe composée de profils ciblés. De spécialiste pointu, il se dirige vers une fonction de généraliste impliqué dans de plus en plus de domaines, y compris dans la stratégie globale. On attend de lui, en particulier depuis la crise, qu’il soit force de proposition et contribue à améliorer durablement les résultats du business, lui demandant agilité, polyvalence et capacités de négociation. Pour cela, il doit disposer des bons outils et des bons profils autour de lui.

Etant amené à collaborer avec de nombreux directeurs financiers, Fabrice Caustur, General Manager chez USG depuis un peu plus d’un an, a eu envie d’établir un portrait-robot du CFO de demain. Dans cette optique, il réalise des one to one avec différents partenaires afin de bien comprendre leurs enjeux, attentes et défis à venir, et croiser le regard du financier avec celui du prestataire. « Le CFO ne peut plus seulement s’atteler à la mesure des résultats. Avec la crise, on lui demande de produire davantage d’informations utiles pour le business et d’avoir un impact sur le chiffre d’affaire, introduit Fabrice Caustur. Dans cette optique, il doit acquérir de nouvelles compétences, qu’il s’agisse de communication, d’informatique ou de marketing, et s’entourer de nouveaux profils. C’est toute une famille de métiers qui change. La technologie joue un rôle d’accélérateur de ces évolutions, puisqu’avec Big Data, le nombre d’informations à traiter ne fait qu’augmenter ». Didier De Sorgher, CFO chez Spadel depuis six ans, est le deuxième d’une longue série à partager sa vision du métier.

Langue universelle

Tous les deux passés par les Big Four, ils en ont apprécié l’ouverture et la richesse d’expérience. « A l’époque, l’audit ou la consultance étaient perçus comme les plus « sexy ». Dans cinq ans, je pense que ce sera au tour des fonctions financières. La finance est une langue universelle, qu’on soit au Japon ou aux USA, les grands principes sont les mêmes », défend Fabrice Caustur. « On y balaye toute sorte d’entreprises, de problématiques et secteurs d’activité. En peu de temps, c’est l’occasion de toucher à beaucoup de choses avec un axe de service prononcé, le rejoint Didier De Sorgher. C’est rare de disposer d’une telle ouverture en restant dans un seul poste. C’est un excellent début de carrière en finance ».
Après différentes expériences, chez Alti International et Accenture, ce dernier rejoint Spadel en tant que Finance Manager en octobre 2005. Deux ans plus tard, à 36 ans, il prend la tête des finances. « C’est une entreprise de taille moyenne, en bonne santé financière et doté d’un centre de décision en Belgique, c’est ce qui m’a séduit. Le CEO reste l’actionnaire principal, c’est devenu assez rare. Je n’avais alors jamais été en charge du département finance d’une société cotée en bourse, j’ai eu la chance qu’on m’en donne l’opportunité et qu’on me fasse confiance ».

« Le CFO ne peut plus seulement s’atteler à la mesure des résultats. Avec la crise, on lui demande de produire davantage d’informations utiles pour le business et d’avoir un impact sur le chiffre d’affaire »

Terreau fertile

Quand il rejoint le groupe Spadel, il y a une vraie volonté de changement de la fonction finance. Et Didier De Sorgher de se remémorer : « L’époque était propice à une évolution du rôle. J’ai eu les moyens et les hommes pour opérer les changements nécessaires. C’est un luxe de pouvoir travailler dans ces conditions »! Un des axes prioritaires est la gestion de l’information. « C’est essentiel. C’est elle qui permet de piloter l’entreprise. Il faut la traiter, l’analyser et la comprendre. Si elle n’est pas intelligible, elle n’a aucune valeur. Pour prendre les bonnes décisions, un CEO a besoin d’une info pertinente et synthétique ». L’ancien CFO allant partir à la retraite, son successeur a pu bénéficier d’un coaching personnalisé. La transition s’est faite de manière intuitive. « J’ai appris énormément de choses à son contact. J’ai eu la grande chance de pouvoir me lancer dans des projets, tout en rentrant progressivement dans la fonction ».
Toute la chaîne des process a pu être repensée. Le système transactionnel, le forcasting, le budgeting, les outils BI, ont été remis à plat. Le département finance se lance en parallèle dans l’adoption d’un ERP SAP, un chantier plus que conséquent. « Quand je suis arrivé, très rapidement, le choix s’est arrêté sur SAP. En assez peu de temps, nous avons pu revoir l’organisation et ses processus. Tout a été réalisé en équipe, ce qui est très confortable. L’outil s’est intégré au budget. Il a permis un saut qualitatif important. Des analyses de rentabilité par client ou par gamme peuvent désormais se faire en temps réel, et on peut descendre dans le détail par marché ou secteur d’activité ».

Cibler la bonne information

La composition de l’équipe a évolué au fil de ces changements. Elle emploie, à ce moment là, 16 personnes dont quatre profils administratifs, trois comptables et un contrôleur. « Deux tiers des postes se consacraient au traitement de l’information et à la production de volumineux rapports comptables. L’équipe passait énormément de temps à réunir et réconcilier les données sur base de systèmes morcelés. A l’époque, les documents étaient très détaillés, ce qui n’est plus du tout courant aujourd’hui », poursuit le CFO. « Avant, un CFO devait généralement sortir des chiffres pour des managers qui voulaient se rassurer dans le détail, ligne par ligne. Consommateur de temps, cela ne permettait pas de créer de valeur ajoutée. C’est quelque chose qui a changé. Comme les autres profils de direction, le CFO doit être plus réactif et orienté business ». « Depuis dix ans, les contraintes réglementaires et les obligations de reporting, asphyxient parfois les départements finance. Le choix doit être posé de savoir quelle information est encore utile et à qui. Par définition, le directeur financier n’a plus le temps », pointe Fabrice Caustur.
Le CA n’a plus besoin de lire ces rapports fleuves. Il veut une information structurée et directement utilisable. « Il faut pour cela travailler sur les données passées, présentes et futures, en étant le plus straight to the point possible, afin d’en tirer l’essentiel. Un CEO veut voir un problème et sa solution en quelques bullet points ! Le CFO doit lui faciliter la tâche. De nombreux rapports sont faits par habitude, il y a toute une réflexion à faire sur leur pertinence. Dans une société comme la nôtre, on a facilement la main dessus et on peut rapidement changer cela ».

« L’information est essentielle. C’est elle qui permet de piloter l’entreprise. Il faut la traiter, l’analyser et la comprendre »

Empowerment et agilité

Grâce à l’ERP et à la modernisation et l’automatisation des procédures, le poids des fonctions transactionnelles a changé. La fonction d’auditeur interne a également été créée et les contrôleurs ont pu se concentrer sur la valeur ajoutée. « L’équilibre s’est complètement renversé. Les outils ne sont que des facilitateurs, ce sont les nouvelles façons de travailler qui comptent. Il faut constamment questionner ses habitudes et pouvoir se reposer sur une équipe pluridisciplinaire », souligne Didier De Sorgher. En cinq ans, la productivité a progressé de 75%. L’équipe a été réduite de 30%, tout en maintenant une charge de travail acceptable pour chacun. « Un manager doit pouvoir faire son travail dans un horaire normal. Les heures supplémentaires ne doivent pas être la norme ».
L’agilité est devenue un corolaire de toutes les fonctions finances. « C’est une qualité déterminante. Les marchés sont devenus très volatiles, tout change très vite, affirme Fabrice Caustur. Plus souples et réactives, les petites structures réussissent généralement mieux à y faire face. L’agilité permet d’être plus rapide et de s’adapter facilement aux changements de l’environnement ». « Ceux qui prennent les décisions doivent être proches du terrain, renchérit Didier De Sorgher. Etre dans une société à taille humaine permet de garder la main. L’agilité est fonction de la maturité de l’entreprise. Elle est étroitement liée aux notions d’empowerment et d’entreprenariat. Elle nécessite, en outre, un processus décisionnel assez court ».

Ambassadeurs business

L’objectif de Didier De Sorgher était de faire évoluer la fonction de Controller vers un rôle de Business Partner, partie prenante de l’équipe finance, mais complètement intégré dans le business. L’idée était de créer des relais financiers amenés à étroitement collaborer avec les différents départements, chefs de projets et principaux managers. « Il y avait quelques réticences du management au début, mais elles ont vite été balayées. Autonomes, ces business partners vont souvent sur le terrain. On leur donne le cadre nécessaire pour se former, se développer et voir ce qui se passe ailleurs. Il ne faut surtout pas les limiter à du data crunshing ». Applications, méthodes d’analyse et de reporting ont été adaptées en ce sens. « Nous avons décidé de jouer la carte de la transparence et de la confiance. Le travail d’intégration des équipes s’est fait naturellement ».
Un balanced scorecard permet de trouver la bonne information parmi des milliers de données, autorisant une vue à la fois standardisée, claire et structurée. Il contribue à changer la présentation de l’information. « On ne peut plus tout faire remonter, continue le CFO. La majorité des données n’intéresse pas 90% des collaborateurs. Le rôle des financiers est de pointer l’essentiel, ce sur quoi il faut prendre des décisions, expliquer les objectifs et jouer sur le « what if » pour mesurer les impacts business d’un nouveau projet. Le CFO ne peut plus seulement être celui qui agite le drapeau rouge. Il doit avoir une vue sur la vente, la production, la logistique… »
Hyper-analytique, le directeur financier doit mieux comprendre ce qui se passe sur le marché, comme dans les usines, et modéliser ce qu’il voit. Outre sa maîtrise du business, il lui faut développer de solides compétences interpersonnelles.
Si certains ambitionnent de devenir CEO, la filiation n’est pourtant pas automatique. « Ce n’est pas forcément un passage naturel, tout dépend des profils. Le CEO est davantage un entrepreneur, il doit être un leader et un communicateur hors pair. C’est un décideur qui doit être convaincant et mobiliser toute l’organisation derrière lui. Ce n’est pas le cas de tous les CFO », remarque Didier De Sorgher. « Dans de nombreuses sociétés, le CFO est un conseiller de luxe. C’est la caisse de résonance du CEO. Ce dernier vient souvent tester ses idées auprès de lui. C’est un tandem clé dans l’organisation », achève Fabrice Caustur.