Indemnités pour « dommage moral » en cas de licenciement violant une clause de stabilité d’emploi: imposable ou non?

Finance Management

La qualification d’indemnité pour dommage moral en cas de licenciement a été utilisée par certains employeurs pour tenter de soustraite une partie des indemnités de rupture à l’impôt et au paiement des cotisations sociales. En réaction à une jurisprudence favorable aux contribuables, l’administration fiscale vient de publier un nouveau commentaire sur le cas des indemnités allouées suite à un licenciement opéré en violation d’une clause de stabilité d’emploi contenue dans une convention collective de travail.

Les indemnités obtenues par un travailleur « en raison ou à l’occasion de la cessation de travail ou de la rupture d’un contrat de travail » font partie des revenus professionnels imposables. Ce principe est applicable quels que soient le débiteur, la qualification, la cause et les modalités de détermination et d’octroi des indemnités.
L’administration fiscale reconnaît toutefois depuis de nombreuses années que les indemnités pour dommage moral (atteinte à l’honneur et à la réputation, dommage affectif, etc.) ne doivent pas être considérées comme des revenus imposables lorsqu’elles sont accordées en vertu d’une décision judiciaire en réparation d’une faute commise par l’employeur à l’occasion du licenciement. Elle admet également que de telles indemnités ne sont pas imposables lorsqu’un tribunal a accordé une indemnité pour dommage moral suite à une faute commise par un employeur dans le cadre d’un licenciement collectif et que l’employeur décide d’appliquer cette indemnisation à tous les travailleurs concernées qui ne sont pas allés en justice.
L’administration a par contre toujours refusé catégoriquement de considérer comme non imposables les indemnités pour dommage moral accordées contractuellement par un employeur à un travailleur. Elle voit automatiquement dans une telle convention un abus manifeste consistant à maquiller une indemnité de préavis en indemnité morale. La jurisprudence a d’ailleurs souvent donné gain de cause à l’administration dans les litiges portés devant les juridictions fiscales.

Ouverture jurisprudentielle

La jurisprudence peut toutefois se montrer plus souple que l’administration dans l’appréciation de la qualification d’ « indemnité pour dommage moral ». Ainsi, la Cour d’Appel de Mons a admis dans deux arrêts l’exonération de « primes de dédommagement moral » versées par un employeur en exécution d’une convention collective de travail et réparant le préjudice moral résultant du non-respect par l’employeur d’une convention antérieure de stabilité d’emploi.
En l’espèce, la Cour a considéré que le complément d’indemnité de rupture réparait bien un préjudice moral particulier pour les travailleurs qui avaient reçu la garantie contractuelle de conserver leur emploi durant un délai déterminé. Dans les cas soumis à la Cour d’Appel de Mons, la direction de l’entreprise avait conclu avec les organisations syndicales une convention au terme de laquelle elle s’engageait sur le maintien de l’emploi pendant une certaine période. La Cour a considéré que, dans ces circonstances, cet accord avait fait naître des attentes légitimes dans le chef des travailleurs dont le non-respect par l’employeur a causé un dommage moral. Le fait que chacun des travailleurs ait reçu le même montant ne fait pas obstacle, selon la Cour, à ce que l’indemnisation soit individualisée dès lors que le préjudice moral est identique pour chacun d’eux. 

Réaction de l’administration

La réaction de l’administration à cette jurisprudence n’a pas tardé. L’administration vient en effet de compléter sa circulaire du 9 mars 2004 par un addendum du 1er aout 2011. Dans cette note, elle précise que des indemnités pour dommage moral accordées par un tribunal ne sont pas automatiquement non imposables. Seules les indemnités spécifiques accordées par un tribunal en vue de réparer un dommage moral personnel individualisé et dont le montant a été déterminé spécifiquement (compte tenu de ce dommage et pas compte tenu du droit du travail) peuvent être considérées comme non imposables. Cela signifie que des indemnités accordées forfaitairement à plusieurs travailleurs se trouvant dans des circonstances similaires (sans avoir égard à leur dommage individuel) devraient être imposables. Sur base de cette nouvelle « doctrine », l’administration considère que des indemnités allouées suite à un licenciement opéré en violation d’une clause de stabilité d’emploi contenue dans une convention collective de travail sont taxables car elles sont accordées en vertu du droit du travail (une convention collective).

Conclusion

On le voit, l’administration fiscale n’a clairement pas l’intention de se rallier aux évolutions jurisprudentielles favorables aux contribuables. Elle semble plutôt vouloir encore restreindre les conditions dans lesquelles des indemnités pour dommage moral accordées pour les tribunaux et cours du travail peuvent être considérées comme non imposables. Au final, la sécurité juridique pour les employeurs et travailleurs concernés s’en trouve encore réduite. On ne peut que le regretter.

Texte: David De Backer (Spice Advice)
Conseiller fiscal
ddb@spice-advice.net

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