« La base du pricing n’est pas liée à des coûts, mais à des valeurs »

La fixation des prix fait désormais partie des préoccupations de la plupart des entreprises et ce processus est souvent considéré comme acquis. Dans un climat économique tendu et instable, réduire ses coûts ne suffit plus à faire la différence. Il faut se montrer créatif, anticiper les désirs de ses clients et ce qu’ils sont prêts à payer pour les assouvir. La fixation des prix est toutefois devenue un art délicat à maîtriser.

Fixer le bon prix au bon produit et au bon moment peut permettre de terrasser ses adversaires. Avec un ROI rapide, le mécanisme de fluctuation des prix ne concerne pas seulement les tarifs en tant que tels, mais aussi le suivi des promotions ponctuelles. De plus en plus populaires, ces techniques bien connues des supermarchés, de l’automobile ou des opérateurs télécoms, intéressent des grands acteurs du conseil comme Deloitte qui a choisi de créer une cellule entièrement dédiée à cette matière il y a déjà six ans. Elle emploie aujourd’hui 25 personnes en Belgique et voit ses activités croître d’année en année suite à l’intérêt grandissant pour ces pratiques.
De plus en plus populaires, les mécanismes de fixation des prix commencent à intéresser tous les secteurs. « Historiquement, les entreprises ont eu tendance à ce concentrer sur des économies d’échelles et des réduction de coûts, explique Marc Abels, directeur et Head of the Pricing Practice chez Deloitte. S’attaquer aux prix demande plus de sensibilité, mais amène davantage de valeur ajoutée à long terme. On estime que le ROI des projets de fixation des prix est entre deux et quatre fois supérieur à celui de toutes les autres initiatives visant une amélioration. Certaines entreprises ont peur de perdre des parts de marché au détriment de leurs concurrents. Elles n’osent pas s’aventurer seules sur ce terrain et ont besoin de conseils. Le secteur s’est fortement professionnalisé ces dernières années, donnant lieu à la création de fonctions dédiées de Pricing Analyst ou Pricing Manager. A titre d’exemple, le département pricing chez bpost emploie une dizaine de personnes. »

Sujet brûlant

Modifier ses prix a forcément un impact sur les consommateurs, surtout en période de crise. Il suffit d’observer l’augmentation des prix du mazout ou les nouvelles réglementations fiscales impactant les voitures de société poussant les constructeurs, les concessionnaires et les compagnies de leasing à revoir leur stratégie de prix. Particuliers comme sociétés sont donc concernées. On ne peut actuellement plus sous-estimer l’impact de l’évolution des prix sur les entreprises belges.
« Rien n’affecte plus la performance opérationnelle que l’attention accordée à la fixation des prix. Les exemples sont légions, appuie Marc Abels. Les supermarchés tentent de garder la tête hors de l’eau en modifiant sans cesse leurs prix, le secteur des télécoms constate que son traditionnel modèle ‘une solution pour tous’ pour la consommation des données mobiles ne fonctionne plus et étudie un modèle de prix plus intelligent. Les compagnies aériennes et les hôtels le font depuis longtemps. Il est certain qu’on va vers davantage de segmentation. Une autre tendance à prendre en compte est celle de la professionnalisation des acheteurs: ils n’hésitent pas à comparer les tarifs sur Internet et sont mieux informés, notamment grâce aux médias sociaux. »

« S’attaquer aux prix demande plus de sensibilité, mais amène davantage de valeur ajoutée à long terme. »

Au sein de l’entreprise, fixer les prix ne se fait pas de manière isolée. Cela demande une analyse quantitative et qualitative. Tout changement dans ce domaine concerne les départements marketing, vente, production, et finance, ainsi que toute la chaîne d’approvisionnement. Les initiatives sont ainsi très souvent discutées en comités de direction. « Le prix touche tout et tout touche le prix, ce qui en fait aussi un challenge en matière de change management », continue Marc Abels.

Changer de philosophie

Se différencier sur le marché a un prix, celui du changement de culture à entreprendre en interne. « Il est important de souligner que jouer sur les prix ne veut pas nécessairement dire les augmenter. L’évolution nécessaire peut être une nouvelle politique de remises. Il ne faut pas uniquement envisager le prix, c’est une dynamique globale à considérer. Certains constructeurs automobiles, par exemple, ont tellement peur qu’un modèle ne se vende pas qu’ils font des remises excessives qui ne collent pas avec la demande et les prix que leurs acheteurs sont prêts à payer», souligne-t-il.
Il s’agit bien de faire évoluer les prix de manière intelligente et stratégique. Casser les prix n’est pas toujours la bonne solution, en témoigne la guerre des prix féroces entre les supermarchés aux Pays Bas. Marc Abels ajoute: « Les méthodes sont assez similaires selon les cas de figure. Environ 30% de l’effort concerne la technique, le reste est lié au changement de mentalité nécessaire. Toucher au prix est très sensible, le tarif est lié à la valeur d’un produit. Nous travaillons beaucoup sur la prise de risque pour rassurer nos clients, même si, parfois, ne rien faire est beaucoup plus risqué. »
Pour être efficace, toute tentative doit être soutenue par le management. Les premières questions à se poser sont: Qu’est ce que mon produit apporte à mes clients? Qu’est ce qu’ils sont prêts à payer pour son usage? Ces réponses peuvent varier selon les catégories de clients. « La base du pricing n’est pas liée à des coûts, mais à des valeurs. Certaines entreprises vendent des produits de commodités, elles doivent se montrer encore plus créatives que les autres et réfléchir à l’expérience de leurs consommateurs. Un grand acteur de l’éclairage, par exemple, a mis en place avec succès différents segments de prix pour ses ampoules, en faisant notamment jouer les couleurs et les perceptions. »

Limites légales

L’exercice ne peut pas se faire n’importe comment. Il est, par exemple, interdit de vendre à perte. « Certains jouent sur leurs coûts variables pour être concurrentiels. La notion de coût n’est pas toujours bien observée, affirme Marc Abels. Faire de la discrimination tarifaire est également interdit par la loi. C’est à dire qu’un même produit ne peut pas être acheté à des sommes différentes par différents clients, sauf si la situation le justifie. Un acteur belge de la grande distribution, par exemple, pratique des prix différents selon les régions. »
Parmi les justifications de différentiation de prix, on peut citer des standards de vie différents, des coûts de transports additionnels, etc. Par le passé, seul les coûts était pris en compte. Depuis peu, la Commission européenne et l’Etat belge regardent également la valeur du produit. Les grands acteurs sont en général les plus surveillés, surtout si leurs produits sont en position dominante et s’il existe peu d’alternatives pour leurs clients. ABInbev, a récemment justifié l’augmentation de prix de ses bières par un changement dans les prix des matières premières et des coûts de l’énergie. Le brasseur a pris le parti de communiquer sur ce sujet de manière transparente. Pour Marc Abels, l’honnêteté est un facteur de succès.

« Nous travaillons sur la prise de risque pour rassurer nos clients, mais parfois, ne rien faire est plus risqué. »

Il faut également mettre en place une gouvernance durable et mener une politique globale. « Chaque évolution doit s’inscrire dans une politique globale. Faire du cas par cas n’est pas constructif. Il faut faire un suivi de chaque prix et de chaque promotion accordée. L’important est aussi d’éviter la panique et de réfléchir à long terme. Avoir une fonction séparée de responsable du pricing permet de surveiller ce qui a déjà été fait. Son rôle est aussi de jouer les intermédiaires entre les intérêts de tous les acteurs. A nos débuts, environ 10% de nos clients avaient créé ce poste. Aujourd’hui, ce pourcentage est passé à 50 chez nos gros clients, c’est une fonction très utile », conseille-t-il. La situation se complexifie pour les multinationales. Celles-ci doivent mettre en place un standard de prix européen afin de limiter les différences de prix entre les pays où elles sont présentes et réduire la concurrence entre leurs différentes filiales. Le tout est de s’y retrouver. Aussi tentant que cela puisse être, augmenter ses prix doit avant tout s’inscrire dans une réflexion globale.

1 Commentaire

  1. Antoine dit :

    Article très intéressant, il est très rare de nos jours de trouver des articles traitant essentiellement du Pricing et de la politique des prix à adopter. je vous remercie

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