« La fonction finance a un rôle d’animation »

Emmanuel Buttin (BNP Paribas Fortis)

Les 100 premiers jours dans un nouveau poste sont critiques pour cerner la situation, initier son projet, convaincre et, déjà, s’imposer. Nouveau directeur financier de BNP Paribas Fortis depuis le 1er mars, Emmanuel Buttin n’a pas raté son entrée en piste, dont le socle de la transformation repose sur le déploiement d’OFS, la nouvelle plateforme comptable du groupe. Parcours et partage d’expériences avec ce Français jusque-là directeur comptable de BNP Paribas où il a animé la transformation de la filière comptable pour lui permettre d’accompagner la croissance du groupe dans un monde bancaire en évolution continue.

« L’activité bancaire est, par nature, une activité comptable, observe Emmanuel Buttin. Etre banquier, ce n’est rien d’autre que la tenue des comptes pour ses clients. La comptabilité est donc au cœur du bon exercice de l’activité, ce qui en fait un rôle plus stratégique que dans d’autres environnements. » Fier de ce background de comptable, il n’est toutefois pas de ceux qui se laissent enfermer dans la seule expertise technique. « J’ai toujours été animé par une fibre entrepreneuriale et la conviction qu’il faut réfléchir de façon ‘industrielle’ en veillant à développer la capacité d’anticipation, la proactivité et l’agilité de sorte de préparer au mieux l’organisation aux nouvelles réalités qui seront les siennes. »
A ses yeux, il n’y a pas pire travers pour une organisation que de fonctionner en silos. « La fonction finance a un rôle d’animation dans le fonctionnement des filières, qui doit bien sûr être supporté par des systèmes et des processus harmonisés et homogènes. » Et charité bien ordonnée commence par soi-même. « Mes équipes sont dispersées dans divers lieux, en partie en central – comme la comptabilité –, d’autres – comme une partie du contrôle de gestion – décentralisées à proximité des métiers. Un des défis consiste à faire fonctionner la communauté finance de façon plus intégrée malgré cet éclatement géographique. Après un brainstorming avec le management team, nous avons fait évoluer l’organisation en ce sens, dans l’optique de soutenir également le déploiement de la nouvelle plateforme comptable du groupe. »
Baptisée One Financial System, elle a pour objectif de développer une communauté de financiers au sein du groupe BNP Paribas en mettant à leur disposition un même système de comptabilité, les mêmes outils de contrôle et un même environnement de reporting financier. « OFS se base sur le principe de ‘désimbrication’ des espaces métiers, comptabilité et reporting. Le système est déjà implémenté en France et en Italie. La Belgique, qui prépare sa migration dans OFS depuis un an et demi, devrait la terminer dans le courant de l’année 2013. »
Elle va radicalement modifier la façon de travailler avec, notamment, un partage accru des informations entre la comptabilité et le contrôle de gestion. Un enjeu critique dans le cadre des évolutions à venir amenées par la réforme Bâle III, dont la mise en place d’un nouveau ratio de liquidité, d’un ratio dit d’effet de levier, la redéfinition des fonds propres, une révision de la couverture de certains risques et la mise en place de mesures contra-cycliques. « Il nous faut non seulement nous adapter au niveau finance, mais également faire en sorte que les métiers comprennent ces nouveaux dispositifs et adaptent leurs activités en conséquence. »

Plus soudée

Tout comme les autres entités du groupe Fortis, le département financier a durement vécu le traumatisme préliminaire à la reprise par BNP Paribas et les doutes qui ont accompagné celle-ci. Pour avoir lui-même vécu l’intégration de Paribas dans le nouveau BNP Paribas en 2000, et pour avoir travaillé en proche collaboration avec les équipes comptables de Fortis pendant la première phase d’intégration en 2010, Emmanuel Buttin connaît l’effort particulier que représentent ces grandes opérations de rapprochement.
« A mon arrivée ici, j’ai constaté une grande qualité technique et une disposition d’esprit très ouverte aux changements, note-t-il. Il n’en demeure pas moins qu’une transition de ce qui était un siège pour devenir une filiale n’est pas évidente à gérer. La fonction finance a dû s’adapter au mode opératoire et aux systèmes du groupe BNP Paribas – notamment en contrôle de gestion –, même si celui-ci sait aussi reconnaître les bonnes pratiques à l’œuvre ici et s’en inspirer. Une partie du chemin a été parcouru, mais il faut parvenir à faire vivre cela au quotidien et bâtir une communauté finance plus soudée. »

« La transition de ce qui était un siège pour devenir une filiale n’est pas évidente à gérer. »

Car, bien entendu, les systèmes ne sont pas tout. « Il y a la nécessité de développer le contact ‘réel’ qui n’est pas assez marqué: beaucoup d’échanges et de discussions se font par mails, par conference calls, etc. Mais ce mode de communication ne suffit pas: il convient de sortir de son pré carré, aller à la rencontre de l’autre, comprendre ses activités, ses besoins et ses attentes. Chacun est à la fois fournisseur et client. Pour que la sauce prenne, des espaces de travail communs et de partages réguliers sont nécessaires, avec des personnes en présence ‘physiquement’, de sorte de faire le point ensemble et de développer des approches plus axées sur le dialogue direct et sur la recherche de la meilleure solution sans partie pris. »

Une agilité

Dernier d’une famille de six enfants, Emmanuel Buttin a vécu une partie de sa jeunesse à Londres, puis à… Bruxelles où son père a travaillé comme conseiller juridique. « Son métier m’a toujours fort intéressé, ce qui m’a amené à moi-même étudier le droit des affaires, confie-t-il. Des études marquées par une grande polyvalence avec, déjà, des cours de gestion financière et de comptabilité. » Ce cursus, il le complète ensuite par une formation économique et financière à Sciences Po’, avant d’opter pour la voie assez classique de l’audit, chez Price Waterhouse.
« Plusieurs propositions intéressantes dans le monde financier s’étaient présentées et le choix n’a pas été facile, ajoute-t-il. Je ne le regrette pas: j’ai énormément appris en étant confronté à des situations fort variées, avec des missions précises à réaliser. Vous acquérez ainsi une agilité indispensable dans le monde en mouvement dans lequel nous vivons. » A l’époque, le cabinet d’audit vit un rapprochement mouvementé – voire ‘sanglant’ – avec BEFEC, un cabinet important sur le marché français. « L’école était excellente, y compris sur le plan de l’observation des comportements humains… »
Contrairement à une majorité de ses collègues plutôt attirés par l’industrie, Emmanuel Buttin marque de l’intérêt pour le secteur bancaire. « Cet univers me fascinait, note-t-il. J’y avais réalisé plusieurs jobs étudiants et, de surcroît, c’était une activité en pleine restructuration à la suite de la libéralisation du secteur au milieu des années 1980: de nombreuses nouvelles banques de niche s’étaient développées et, suite au krach financier d’octobre 1987, ont connu des défaillances. En tant que jeune auditeur travaillant sur de tels dossiers pour le moins complexes et même sensibles, j’ai eu la chance d’avoir beaucoup plus rapidement des responsabilités importantes. Mais cela m’a surtout permis d’acquérir une vue claire de ce que j’avais envie de faire… »
Une mission le marque particulièrement. « Il y avait, autour du Crédit Lyonnais, un ensemble de sept filiales, chacune connaissant des difficultés. La décision a été prise de les fusionner et de constituer ainsi un établissement de crédit de niche, la Banque Colbert. » Dans cet environnement unique, il se retrouve au four et au moulin. « Responsable du processus de fusion comptable, j’ai touché à tout – que ce soit le volet organisationnel, l’IT, les RH –, depuis l’analyse et la définition des solutions à apporter aux problèmes jusqu’à leur mise en application très opérationnelle. Mais, surtout, j’ai ainsi pu découvrir la palette complète du fonctionnement d’une banque, ce qui est inaccessible en si peu de temps quand vous évoluez dans une institution de grande taille. »

Esprit entrepreneurial

Autre volet, moins agréable à gérer mais également porteur d’enseignements: la… fermeture de l’activité. « Après 18 mois exaltants, la banque a proposé de me recruter… ce qui m’a tout à fait convenu. Il y avait un risque, j’en étais conscient, mais j’étais jeune et je n’aurais pas pu avoir autant de liberté et de capacité d’exercer mes talents de créativité si j’étais revenu à du pur audit de dossiers. » Nommé à la direction de la comptabilité, Emmanuel Buttin se frotte à des patrons de métiers à la personnalité forte, mais dans un contexte de dialogue libre et ouvert. Autre volet, moins agréable à gérer, mais également porteur d’enseignements: la… fermeture de l’activité. « Malheureusement, au bout de deux années d’exercice, il est apparu que l’entreprise n’était pas viable. Nous avons donc dû restructurer et, finalement, contribuer à mettre un terme à tout ce qui avait été construit. »
En 1995, il rebondit au Crédit local de France, le principal prêteur des collectivités locales en France. Au sein de cette banque ayant la particularité de ne pas avoir de dépôts, mais d’être avant toute chose un institut de financement et un gros émetteur sur les marchés financiers internationaux, il y est confronté à la problématique particulière de la gestion de bilan. « Différentes techniques de hedging de marché se mettaient en place à ce moment-là nécessitant beaucoup de réflexion et d’adaptation quant au traitement comptable. »
Par ailleurs, le chantier de rapprochement avec le Crédit Communal de Belgique pour constituer Dexia l’occupe également, dans un environnement où il ne trouve toutefois plus satisfaction. C’est ainsi qu’après deux ans, Emmanuel Buttin saisit l’opportunité de rejoindre le groupe Paribas. « A l’époque, il ne s’agissait plus d’une banque de réseau mais d’une banque d’affaires, de gestion d’actifs et de services financiers spécialisés et, surtout, elle se caractérisait par un esprit entrepreneurial qui me correspond très bien », souligne-t-il. Les défis seront à la hauteur de ses espérances, avec une politique très active d’acquisitions et de cessions qu’il fallait aider à « digérer ».

Leadership

Au premier semestre de l’année 1999 se livre une grosse bataille boursière et juridique opposant la BNP et la Société générale avec, notamment, pour enjeu le contrôle de Paribas. Si l’OPE de la BNP sur la Société générale finit par échouer, celle sur le groupe Paribas réussit, amenant la création du nouveau groupe BNP Paribas en mai 2000. Du même coup, Emmanuel Buttin se retrouve ainsi aux premiers rangs de ce qui allait devenir un des premiers acteurs bancaires non seulement français, mais aussi européens, combinant une palette d’activités et une couverture géographique très complémentaires.
Aujourd’hui, le groupe BNP Paribas a une présence dans 80 pays et compte près de 200.000 collaborateurs, dont plus de 150.000 en Europe. Il détient des positions clés dans ses trois grands domaines d’activité: Retail Banking, Investment Solutions et Corporate & Investment Banking. En Europe, le groupe a quatre marchés domestiques: la France, la Belgique, l’Italie et le Luxembourg, tout en développant également son modèle intégré de banque de détail dans les pays du bassin méditerranéen, en Turquie, en Europe de l’Est. Il possède par ailleurs un réseau important dans l’Ouest des Etats-Unis. Dans ses activités Corporate & Investment Banking et Investment Solutions, il bénéficie d’un leadership en Europe, d’une forte présence dans les Amériques, ainsi que d’un dispositif solide et en forte croissance en Asie.

Emmanuel Buttin (BNP Paribas Fortis)

Chez BNP Paribas, Emmanuel Buttin exerce successivement les fonctions de responsable de la comptabilité des comptes sociaux, puis des comptes consolidés, avant de devenir adjoint du directeur comptable du groupe en 2007, fonction qu’il exercera lui-même à partir de 2009. Au cours de ces années, il se trouve associé à plusieurs grands programmes dont celui de la fusion et de la migration des équipes, un chantier de réduction du délai pour la publication des comptes annuels, le passage aux IFRS et à Bâle II, l’intégration de la Banca Nazionale del Lavoro – sixième acteur du marché bancaire italien – et, bien sûr, le sauvetage de Fortis.

Volet stratégique

Ces années sont également l’occasion de développer ses compétences managériales. « A côté du socle technique qu’il faut maîtriser tant au plan comptable que de l’activité bancaire, la capacité à piloter des processus et des équipes est clé. » La direction comptable du groupe BNP Paribas comptait quelque 700 personnes, dont 150 exerçant à Bruxelles des activités centrales du groupe suite au processus d’intégration de Fortis. « J’ai trouvé qu’il était passionnant de traduire la vision – vers où l’on veut aller – en termes d’organisation et de systèmes, dans un environnement qui évolue sans cesse et qui devient de plus en plus exigeant que ce soit de par l’évolution des marchés, de par les réformes que connaît le secteur ou de par les exigences de gestion interne. On doit évoluer vers toujours plus de sophistication, de rapidité et de qualité. »
Le monde bancaire s’est transformé et, avec lui, le niveau des personnes qui y travaillent et le type des profils recherchés, davantage axé vers des parcours plus diversifiés. « Il convient désormais de travailler en mode projet ou sur des missions. C’est un volet stratégique sur lequel j’ai passé beaucoup de temps: le recrutement, la motivation des équipes, la mobilité des personnes. Quand j’ai quitté Paris pour rejoindre BNP Paribas Fortis, j’ai laissé une équipe mature, autonome, soudée par un fort esprit d’équipe, considérée comme étant un réel atout pour le groupe. »
Après un parcours dans le champ comptable, Emmanuel Buttin se voit proposer une fonction de directeur financier en Belgique, en ligne avec l’accent mis au sein du groupe pour stimuler la mobilité internationale. « Je l’ai vue comme une belle opportunité de sortir de ma zone de confort… même si les années précédentes avaient été plus qu’animées. J’élargis ainsi mes compétences vers un pilotage axé davantage encore sur le business, avec les volets prévision, budget et contrôle de gestion. J’intègre aussi un comité exécutif, ce qui me permet de participer à la direction de l’entreprise au-delà de ma casquette financière. »

Préoccupation duale

Le défi est de taille: BNP Paribas Fortis, c’est une des filiales les plus importantes du groupe, avec une position de leader sur son marché et la particularité d’être un groupe en soi, avec des filiales dans différents pays. De surcroît, il faut composer avec un actionnaire étatique qui, bien que minoritaire, n’en est pas moins important. « La préoccupation est duale: d’une part, gérer la contribution au groupe BNP Paribas des activités de BNP Paribas Fortis, tant au plan Retail que Corporate, et, d’autre part, piloter la vision stratégique de BNP Paribas Fortis dans son périmètre propre. »
Dans sa nouvelle fonction, Emmanuel Buttin demeure fidèle à ses convictions: œuvrer dans une logique de partenariat et d’animation, afin d’aider le business à être davantage dans l’anticipation. « Le bagage comptable peut vite vous formater par l’expertise technique et devenir comme un corset, conclut-il. Mon expérience et mon orientation entrepreneuriale m’en préservent au profit d’une réelle ouverture aux métiers. Quand je manipule du chiffre, ce n’est pas pour le plaisir du ‘placement de la virgule dans le texte’, mais bien dans l’esprit de comprendre la logique du métier et de m’adapter à ce qu’elle est. Mais il y a aussi un cadre conceptuel et une rigueur comptable qui apportent une valeur ajoutée au business. Cette ‘colonne vertébrale comptable’ est le pilier d’une information financière cohérente pour tous les métiers, tout en s’adaptant à leurs spécificités, et pour tous types d’indicateurs financiers : résultat comptable et analytique, bilan, solvabilité, liquidité… Cette rigueur alliée à une agilité permanente sont des atouts essentiels pour permettre à un groupe bancaire de naviguer dans un environnement difficile suscitant un surveillance accrue des régulateurs et une attente sans cesse accrue d’informations des investisseurs. Bien sûr, avec toute la pédagogie requise par rapport aux équipes… »

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