« La fonction finance doit créer des ponts »

Finance Management

En quelques années, Anne-Sophie Snyers est parvenue à positionner la fonction financière en véritable partenaire du business au sein de MCI Benelux, un enjeu stratégique alors que cette entreprise spécialisée dans l’événementiel a connu une croissance spectaculaire au niveau mondial. Plusieurs des chantiers menés ont d’ailleurs essaimés au niveau du groupe qui mise par ailleurs sur l’agilité dans la déclinaison locale de sa vision globale. « Nous sommes une société de service, dit-elle. Il ne faut jamais se déconnecter de la réalité. »

MCI, c’est une véritable success-story, même si elle n’est pas forcément connue du grand public. C’est à Genève, en 1987, que Roger Tondeur ouvre le premier bureau MCI avec une équipe de quatre personnes spécialisée dans la communication événementielle. En 1999, l’entreprise est déjà leader en Suisse et ouvre un deuxième bureau à Zurich, avant Paris puis Berlin. Aujourd’hui, elle peut compter sur un réseau de quelque 44 bureaux répartis à travers le monde. Parallèlement à cette expansion géographique, le groupe a procédé à l’acquisition de sociétés qui excellent chacune dans leur domaine.
Ce fut le cas en Belgique où MCI Group a racheté GIC management en 2003 – soit la reprise d’un effectif de 80 personnes par une entreprise qui en employait 250 dans quatre pays. Basée à Bruxelles, GIC développait depuis 1991 des services aux associations professionnelles – principalement américaines – désirant investir le marché européen. Elle offrait un « quartier général » européen à ces associations, leur permettant ainsi de développer leurs réseaux de membres, leur marketing et leur stratégie d’expansion. GIC a connu un beau succès et MCI Group a saisi l’opportunité de développer cette activité, annexe et complémentaire à celle d’organisateur de congrès et d’événements.
Pendant tout un temps, toutefois, les deux structures – GIC Management et MCI Benelux créée en 2003 – ont continué à être gérées de façon autonome: deux équipes opérationnelles, deux sections marketing, deux comptabilités. C’est au moment où la décision d’uniformiser les deux entités aux standards du groupe qu’Anne-Sophie Snyers rejoint l’entreprise en tant que Finance Manager de MCI Benelux. « Très vite, je me suis rendu compte qu’une économie d’échelle substantielle était réalisable si nous fusionnions les deux entités, car de doubles tâches étaient réalisées à de nombreux endroits », confie-t-elle.

Miser sur l’interne

L’idée a toutefois dû mûrir, ce qui n’a pas été sans susciter un peu de frustration, comme elle le reconnaît avec le recul. « Tout au long de mon parcours, j’ai toutefois appris la patience, la capacité à positiver et l’humilité. On ne gagne rien à vouloir absolument avoir raison trop tôt! » Fin 2007, sa patience est récompensée. Nommée directrice financière de MCI Benelux, elle va pouvoir s’atteler à la fusion, après certains préalables: « A l’époque, la comptabilité se faisait par du staff interne supervisé par un expert comptable externe, illustre-t-elle. Si nous voulions être maîtres de nos chiffres, nous devions disposer des ressources internes. Ce fut chose faite avec le remplacement successif et naturel du staff par de véritables comptables et la possibilité ainsi gagnée de nous séparer de toute aide externe. »
Au final, l’opération de fusion aura valu à l’entité Benelux une diminution du staff comptable de moitié, une diminution des coûts fixes hors staff de 15% – sachant que le staff représente 75% des coûts –, une structure interne organisée, formée et compétente. Un bilan qui reste d’actualité depuis, en dépit du fait que l’entreprise a connu une croissance importante de son chiffre d’affaires et de l’effectif. « A mon arrivée dans la société, la finance, c’était vraiment le back-office. Au fil du temps, j’ai pu convaincre que la finance devait être partenaire du business, alors que ce n’était pas cela que l’on attendait de moi. Aujourd’hui, la conviction est là que la finance n’est pas là que pour fournir des chiffres et des analyses, mais aussi pour apporter une valeur ajoutée sur base d’une connaissance du business. »

« Tout au long de mon parcours, j’ai appris la patience, la capacité à positiver et l’humilité. »

Entre-temps, le groupe MCI a beaucoup évolué, avec de très belles perspectives de croissance en Asie, pour employer aujourd’hui un millier de personnes dont 70 en Belgique. L’ambition est de doubler l’effectif à l’horizon 2013. « Lorsque j’ai assisté à ma première réunion financière en Suisse, nous étions quatre. Aujourd’hui, nous sommes vingt, avec un nouveau CFO de la même génération que moi. Malgré mon jeune âge, je fais donc partie des plus anciens dans l’entreprise! » Un développement qui lui ouvre de nouveaux défis, dont la prise du rôle de Finance Director pour MCI Amsterdam en 2010, une nouvelle entité créée par le rachat successif de deux sociétés hollandaises. Un défi international qui n’est pas pour lui déplaire…

Tout à prouver

Au terme de ses études secondaires, Anne-Sophie Snyers part un an en Afrique du Sud, dans le cadre d’un échange étudiant. « Venant de la campagne, c’était à la fois la découverte de la ville – Le Cap! –, l’apprentissage de l’indépendance, de la débrouille et de la nécessité de faire ses preuves, raconte-t-elle. Tout est à prouver, personne ne vous connaît. Cette aventure a éveillé en moi le goût de l’international. J’ai compris là-bas que les contacts internationaux allaient être le fil rouge de ma vie professionnelle. J’y serais bien restée d’ailleurs: cela reste la plus belle année de ma vie. »
Mais la voix de la raison l’emporte et la jeune fille revient au pays pour y suivre un cursus en sciences économiques, à Namur. « Mon premier choix allait plutôt à l’architecture. J’aimais dessiner, construire, voir des projets se réaliser. Mais comme j’aimais également beaucoup étudier, je me suis dit qu’il serait toujours temps de me lancer là-dedans par après. Ce programme en économie me semblait être la route à prendre pour recevoir un enseignement général. » Elle y apprivoise les chiffres, tout en enrichissant son bagage d’un échange Erasmus à Madrid et d’un second échange à l’UFSIA, à Anvers, pour développer sa maîtrise du néerlandais.
Son entrée dans la vie professionnelle, Anne-Sophie Snyers la vit chez Euroclear, où elle s’occupe de transactions interbancaires par achat et vente d’un certain type de warrants. « Le premier critère de choix était pour moi d’évoluer dans une société internationale. Pour le reste, j’étais consciente d’avoir tout à apprendre. Mais je m’y suis très vite embêtée: la tâche était très segmentée, trop administrative, et même abstraite. » Après huit mois, elle rebondit chez BPS, une petite société de production de matériel promotionnel créée par un ami et à la recherche d’un responsable financier.
Pendant trois ans, elle va ainsi découvrir les charmes de la vie en PME, mais aussi ses travers. « L’avantage, c’est qu’on y touche à tout – comptabilité, administration, crédits, RH, relation avec les fournisseurs et les clients, proximité avec les opérationnels, etc. Il y a une dimension plus entrepreneuriale à la fonction. L’inconvénient, c’était de vivre dans une société avec peu de cash et avec un patron plus passionné par l’activité que par ce type de contrainte. Ce qui engendre beaucoup de stress, notamment quant à savoir comment payer les salaires en fin de mois si les clients ne paient pas! C’était dur et assez solitaire, mais j’ai appris à gérer ce type de stress. »

Du recul

L’arrivée de son premier fils lui permet de prendre un peu de recul et de mesurer qu’elle a un peu fait le tour du sujet au sein de cette PME. Le bon moment pour rejoindre Straumann, une société suisse spécialisée dans les implants dentaires dont l’entité belge établie à Zaventem était complètement néerlandophone. Engagée pour prendre la responsabilité financière de cette petite équipe, elle y retrouve le volet international qui lui manquait chez BPS, auquel se rajoute l’apprentissage de la gestion analytique. « Malheureusement, des divergences de vue m’ont amenée à quitter le navire après trois années, note-t-elle. J’ai un caractère un peu entier. En tant que personne, le responsable finance doit avoir des valeurs personnelles fortes et ancrées. »
A nouveau enceinte, les chasseurs de têtes ne la reçoivent alors qu’avec condescendance, sans vraiment lui proposer de nouveau défi. « Ce break de six mois m’a permis de réfléchir au tournant à donner à ma carrière professionnelle: soit continuer dans la comptabilité – sujet qui ne me passionnait pas, mais représentant une bonne école pour acquérir de la rigueur – ou plutôt me diriger vers le contrôle de gestion. » Un intérim de six mois, qui sera prolongé d’un autre semestre, chez Kraft Food, à Rhisnes, la conforte dans cette seconde voie.
L’expérience est à nouveau pleine d’apprentissages: celui du milieu industriel, notamment. « Visiter régulièrement l’usine m’a passionnée, tout comme la rencontre avec les gens qui y travaillent, la possibilité de leur poser des questions, d’avoir un contact direct. C’est bien plus enrichissant que la simple analyse des composants des produits créés ou des graphes qui ne parlent pas autant! J’ai pris la pleine mesure de mon besoin de travailler pour des produits qui avaient une réelle signification pour moi. » Revers de la médaille: la structure reste statique et il y a peu de place pour une réelle vision financière.

Service et conseil

Malgré la proposition reçue d’y rester encore, Anne-Sophie Snyers décide d’accepter celle que lui fait MCI depuis un certain temps déjà: reprendre la fonction de Finance Manager au sein de la filiale Benelux, une société créée un an plus tôt et dont le staff est composé à 70% de personnel étranger. On connaît la suite! Parmi les chantiers menés pour contribuer à faire de la fonction finance un point central du business chez MCI Benelux, elle pointe le projet d’analyse de profitabilité. « Nos activités sont centrées sur le service et sur le conseil et il n’est pas toujours aisé d’avoir une vue exacte du rapport entre les coûts et ce que l’on facture aux clients, souligne-t-elle. A fortiori dans une petite structure. Un système spécifique a été développé pour la Belgique, puis a inspiré le groupe qui, en fin de compte, est lui-même une constellation de PME. » Plusieurs autres chantiers initiés au niveau de l’entité Benelux ont par ailleurs essaimé au sein du groupe…

« En tant que personne, le responsable finance doit avoir des valeurs personnelles fortes et ancrées. »

En plus de la gestion de la croissance, MCI Group a été confronté à plusieurs changements au niveau de sa direction, dans le cadre du passage de génération. « Or, l’unité de l’équipe de management est primordiale: il faut pouvoir discuter de tout, se sentir soutenu. Cela implique de travailler en continu à construire et à entretenir la relation avec chacune des personnes, afin de ne pas travailler en silo. Je le vois comme un rôle clé de la fonction finance que de créer des ponts entre les différentes business units. Il lui faut aussi travailler en bonne intelligence avec les autres directions de support, comme ce fut le cas avec la fonction RH dans le cadre du projet d’analyse de profitabilité ou en matière de rémunération vu les affres de la crise. »

Chantier prometteur

La crise n’a pas épargné MCI, notamment avec la perte d’un gros client américain en 2008. Pour autant, l’entreprise a réussi à conserver un haut niveau de rentabilité grâce à sa clientèle stable et à des événements qui se planifient à un horizon de parfois deux à trois ans. « On ne peut certainement pas se plaindre: nous réalisons des business plans ‘groupe’ à cinq ans qui sont systématiquement dépassés à 50% de nos espérances! Les développements en Asie y sont bien entendu pour beaucoup: en 2009, elle représentait 9% du chiffre d’affaires du groupe, pour 20% en 2011. Si la part de m’Europe se réduit, il reste énormément de choses à faire en termes de synergies et d’amélioration de nos méthodes de travail. » La gestion de trésorerie sera, par exemple, un chantier prometteur à porter par la fonction finance…
Pour Anne-Sophie Snyers, il ne fait aucun doute que la directeur financier moderne est avant tout un(e) business (wo)man. « C’est toute la différence entre un comptable et un financier, et trop de gens font encore l’amalgame dans leur esprit. Désormais, le responsable financier est une personne stratégique centrale, pointe-t-elle. Il détient aujourd’hui deux rôles: fournir des chiffres, KPIs et analyses d’évolution aux opérationnels et à la direction, mais aussi les alimenter en conseils. On éteint encore trop de feux, alors qu’il faudrait pouvoir intervenir en amont. Tout le monde n’a pas encore le réflexe d’impliquer la finance dans toutes les décisions stratégiques. C’est une erreur car la finance donne des outils de mesure importants. MCI l’a compris: la finance ainsi que HR sont de plus en plus impliqués dans les décisions business et, pour ma part, je n’hésite jamais à saisir l’occasion d’aller voir des clients… »
Pour Anne-Sophie Snyers, le CFO, tout comme tout directeur aujourd’hui, se doit d’être un leader, d’avoir cette capacité à entraîner l’équipe vers le même objectif, et de convaincre son équipe de la vision à suivre. « Les directeurs d’aujourd’hui ont bien plus d’intelligence émotionnelle, quitte à être moins ‘experts’ dans leur domaine qu’auparavant, conclut-elle. Je me suis moi-même entourée d’excellents comptables, un choix qui me permet aujourd’hui de me concentrer sur mes forces à moi. »

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