« L’acheteur est l’interface entre les autres fonctions »
Lancée à l’initiative du géant pharmaceutique, la chaire Strategic Sourcing and Procurement a été inaugurée à l’automne 2011. Elle répond avant tout à un besoin de développement de la recherche et de la formation universitaire pour les activités « achats » en Belgique. Outre la publication d’articles scientifiques et la recherche appliquée, l’équipe de la chaire a été chargée de construire un programme de master destiné à former des étudiants de la filière économique au métier d’acheteur.
Alors que la première promotion vient de recevoir son diplôme, ses membres se préparent à accueillir de nouvelles inscriptions pour la promotion de février 2013. Les professeurs viendront d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas ou encore de Suède. Composé d’un public mélangeant étudiants et jeunes professionnels cadres déjà engagés chez GSK Vaccines, le groupe d’étudiants a suivi une série de cours théoriques et de cas pratiques. Principalement orientés achats, les cours s’articulaient autour des thèmes suivants: supply chain and procurement, procurement organisation and process ou strategic sourcing.
Métier niche
Fonction relativement jeune, le rôle d’acheteur a eu ses premiers cours dédiés en 1917 à Harvard. Longtemps restée transactionnelle, la fonction commence à acquérir une couleur stratégique. Dans les années 60 et 70, les matières premières ont occupé une place plus importante, contribuant à son essor. La crise du pétrole a également participé à cette dynamique. « Historiquement, la fonction a souvent été perçue comme peu prestigieuse, le profil de la fonction évolue, le rôle devient de plus en plus stratégique, notamment en raison de la multiplication des possibilités d’outsourcing, introduit Constantin Blome, président de la Chaire. Les universités ont été un peu lentes à réagir, même si la situation est différente selon les pays. Aux Pays-Bas, par exemple, chaque université a au moins un professeur en Procurement. »
Certains secteurs, comme la grande distribution et l’industrie automobile ont compris l’utilité d’avoir une fonction dédiée avant les autres. « Ces 20 dernières années, le métier d’acheteur a décollé, s’est structuré et professionnalisé. La plupart des entreprises ont à présent intégré cette fonction et certains gouvernements se sont’ aujourd’hui dotés d’une fonction achat, soutient Marcel Laubacher, Vice President et Head of Global Supply Chain & Procurement chez GSK Vaccines. La crise a certainement renforcé ce rôle. Il y a aujourd’hui une très forte demande, peu de profils et donc une guerre des talents, d’autant que les acheteurs aiment bouger et découvrir de nouveaux produits, les salaires s’envolent… » Chez GSK Vaccines, la fonction a également bien évolué en interne et est passée d’un angle purement transactionnel à une fonction professionnelle, stratégique et globale.
Fonction stratégique
Le rôle de la chaire est aussi de mieux faire connaître le rôle de l’acheteur et ses différentes dimensions. « Notre démarche est sociétale, nous voulions faire progresser le métier tout en faisant mieux connaître les différentes possibilités de carrières aux étudiants, souligne Marcel Laubacher. Il y a un grand manque de formations universitaires aux métiers des achats. La Belgique est très en retard dans ce domaine. En France, par exemple, il existe déjà une cinquantaine de formations donnant accès à un diplôme. La Suisse et l’Angleterre proposent également des formations intéressantes. Ce retard académique contribue à donner une image un peu ternie des achats. Notre ambition est d’offrir la meilleure formation en Europe. »
Engagé en 2007, Marcel Laubacher a relevé le défi de transformer la fonction achat, à l’époque transactionelle, en fonction stratégique. Loin d’être uniquement un passeur de commandes, l’acheteur contacte les fournisseurs, compare et négocie les prix et, ensuite, gère les commandes. Il doit connaître le prix juste à payer, l’état des marchés, la structure des coûts de l’entreprise, cerner les risques et être impliqué en amont.
« L’acheteur gère l’argent de l’entreprise en bon père de famille. Il doit s’assurer qu’il est dépensé à bon escient. »
« Son rôle est transversal, l’acheteur est l’interface entre les différentes fonctions de l’entreprise et les fournisseurs. Il a un regard transverse sur l’interne et l’externe de l’entreprise et est au carrefour de l’écosystème. Il jongle entre les besoins de chacun et la situation du marché, confirme encore Marcel Laubacher. Il n’est pas ingénieur, mais doit maîtriser le produit. Il n’est pas juriste, mais doit connaître les différentes clauses. Son rôle est à présent déterminant pour le business, c’est aussi le chef d’orchestre de la relation avec les fournisseurs. C’est un métier qui requiert beaucoup de compétences différentes et un mix de hard et soft skills. L’impact des achats peut être énorme, le poids de ce qu’on achète peut parfois atteindre 70% du P&L. »
Mix d’expériences
Première initiative du genre, la chaire s’inscrit dans une optique de long terme et vient pallier le manque de formations spécifiques aux métiers des achats en Belgique. « Notre objectif central était de combiner des connaissances académiques à un niveau d’employabilité élevé pour demain en équipant les étudiants des outils et des connaissances nécessaires à l’exercice du métier, indique Constantin Blome, également Professeur à la Louvain School of Management (LSM) et chargé de la sélection des professeurs. En réalisant le programme, l’accent a été mis sur la pratique et les ‘best practices’. Nous avons réfléchi avec GSK Vaccines pour déterminer ce qu’un responsable des achats devait faire, tout en consultant des entreprises avec un grand département achat comme Coca-Cola ou Siemens afin de comprendre ce qu’ils attendent de la fonction. »
GSK Vaccines a ainsi contribué à définir les thèmes de recherche de même que que la grille des cours. Proposé en anglais le programme a séduit une trentaine d’étudiants. La moitié d’entre eux ont décidé de poursuivre leur expérience par une thèse. Attachée à la LSM et au centre de recherche CORE, la chaire a bénéficié de leur réseau et de leur bonne visibilité internationale. « Sur ces trente inscrits, onze étaient des jeunes actifs. Les autres venaient pour deux tiers de l’UCL et le tiers restant était constitué d’étudiants internationaux. J’ai trouvé ce mélange très enrichissant et innovant, souligne Constantin Blome. Leurs questions et leurs approches étaient complémentaires. Les professeurs viennent aussi des quatre coins de l’Europe: Suisse, Russie, France, Etats-Unis… Notre objectif est de garder un groupe de travail assez réduit, soit de 50 participants maximum pour garder un enseignement d’excellence. »
Ancrage pratique
Actuellement accessible aux ingénieurs de gestion et aux profils commerciaux, le master pourrait être dans le futur proposé aux pharmaciens. « Nous intervenons au niveau du contenu tout en laissant une certaine marge de manœuvre à l’équipe académique. Nous créons le cadre pour développer le côté pratique, très important à nos yeux. Nous sommes parvenus à un beau mélange entre théorie et cas concrets », ajoute Marcel Laubacher. Certains séminaires pratiques se sont également déroulés sur le site de GSK Wavre . En les encadrant, l’équipe de GSK Vaccines repère aussi les futurs talents en vue d’un éventuel engagement. Ils viendraient dès lors rejoindre l’équipe des 70 acheteurs de l’entreprise. Vivier de ressources, le master permettra sans doute à GSK Vaccines de trouver les perles rares. Le but du master est bien de former des professionnels directement prêts pour le terrain.
« Un bon acheteur doit avoir une éthique, des valeurs et une intégrité irréprochables, c’est ce qui rend la sélection si pointue, termine Marcel Laubacher. Ensuite, il gère l’argent de l’entreprise en bon père de famille. Il doit s’assurer qu’il est dépensé à bon escient. C’est un métier complexe, fait d’un mélange de compétences techniques, stratégiques, financières et sociales. C’est avant tout un métier de contacts. » En progression constante, la fonction d’acheteur évoluera sans doute vers davantage de responsabilité sociale, de géopolitique et de réglementations. Il lui faudra aussi intégrer les enjeux liés au boom du marché asiatique.