« Le directeur financier n’est plus seulement un homme de chiffres »

Henri Thonnart NRB

Gradué en comptabilité, Henri Thonnart a gravi les échelons et endossé différentes fonctions chez Ethias, puis au sein de NRB, avant de prendre la casquette de Directeur financier pour l’ensemble du groupe. Administrateur de plusieurs sociétés, il ne conçoit pas son rôle sans voie au chapitre au conseil d’administration. Travaillant en étroite collaboration avec son CEO, il chapeaute également le département informatique, après avoir endossé brièvement la casquette de DRH durant quelques mois.

Depuis plus de vingt ans au sein du même groupe, Henri Thonnart a accompagné NRB dans la mue entamée il y a cinq ans et la diversification de ses activités. Les efforts ont porté leurs fruits puisque le chiffre d’affaire a progressé de 8% en 2012. « J’ai eu la chance de faire toute ma carrière au sein du même groupe. On m’a fait confiance et j’ai pu y escalader les étages progressivement. J’ai beaucoup appris sur le tas et au contact de mes collaborateurs. J’ai eu l’opportunité de pouvoir toucher à différents métiers. Je ne me suis, jusqu’à présent jamais ennuyé. Le marché de l’IT nous pousse tous à évoluer en permanence », partage-t-il.
L’histoire du fournisseur de services informatiques remonte à 1987. Fondé à Herstal, Network Research Belgium est d’abord le département IT et le centre de données d’Ethias. Le groupe, aujourd’hui présent dans les trois régions, emploie 1200 collaborateurs et se compose de cinq entités distinctes: NRB, Xperthis, orienté sur les services aux hôpitaux, Adehis, Cevi et Logins, spécialisés dans le secteur public local. Chacune de ses filiales s’organise autour d’un focus sectoriel particulier. Infrastructure, cloud computing ou business applications se sont ajoutés au fil du temps.
Au début de l’année 2012, c’est Ulrich Penzkofer, ancien patron de Siemens Belgique, qui est choisi pour succéder au fondateur du groupe, Guy Uerlings, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans l’histoire du groupe. Son chiffre d’affaire était de 197 millions d’euros en 2012, ce qui lui permet de se positionner dans le top trois des acteurs de l’ICT belge.

Débuts comptables

Après un graduat en comptabilité et fiscalité, Henri Thonnart débute sa carrière chez Ethias en 1989. Il y est gestionnaire des filiales durant six ans, avant d’accepter le poste de Responsable financier chez NRB. « Ethias était une très bonne première expérience de travail. L’entreprise était très bien organisée, cela m’a marqué. J’y ai découvert un métier et le secteur de l’IT. J’ai gardé les processus les plus robustes dans un coin de ma tête, notamment en matière de gouvernance, pour les réutiliser plus tard dans un autre contexte. Je m’en suis inspiré par la suite. J’y ai également appris à être proche du client ».
Quand il rejoint NRB en janvier 96, l’entreprise passe alors de 100 à 600 collaborateurs. Il contribue alors à assurer la base financière. « Il a fallu remettre de la structure et créer différents types de processus. Nous avons notamment opté pour un outil SAP commun, se rappelle-t-il. Chacun avait aussi son propre système de time sheets sans aucune intégration globale. Il fallait convaincre tout le monde d’adopter un nouveau système harmonisé. Comme dans tout projet, rares sont ceux qui ont envie de changer. A mes débuts, la première couche de services devait être solidifiée avant de passer à des tâches plus stratégiques ».
Depuis 2008, grâce à une politique de rachats volontariste, NRB s’est diversifié géographiquement, comme dans ses activités. En parallèle, après 14 ans dans la boite, Henri Thonnart prend le rôle de Directeur financier. « Le groupe avait alors atteint une certaine taille et souhaitait renforcer sa base de clients en allant dans d’autres régions. Il s’est également réorganisé de manière fonctionnelle. Nous avons racheté une première société en 2009. En trois ans, le visage du groupe a bien changé. J’avais, à ce moment là, peu de compétences en acquisition de société, je me suis formé moi-même. Je lis beaucoup la presse financière, je pense que cela m’a bien aidé ».
Une bonne illustration de cette politique est le rachat de 51% des parts d’Adinfo en 2010 pour un montant de 25 millions d’euros. Grâce à cette opération, NRB est devenu le numéro 1 de l’informatique dans le secteur public belge. En intégrant la filiale de Dexia, toute une série de communes, CPAS, provinces et hôpitaux sont tombés dans son escarcelle.

« Les décisions ne peuvent pas seulement venir du haut. Il faut souvent trouver des compromis entre la vision groupe et les réalités du terrain. »

Plusieurs casquettes

NRB suivant une politique de croissance par acquisition, Henri Thonnart met un point d’honneur à suivre de près l’évolution de chaque société. Il reste administrateur et siège au conseil d’administration de ces sociétés dans la plupart des cas. Depuis 2010, il cumule les mandats chez Cevi, Adinfo, Adehis, xperthis, afelio ou encore stesud. NRB est la faîtière du groupe, il est plus qu’important d’aligner les priorités de chacune des entités. Les différents CFO sont ainsi fréquemment amenés à se rencontrer, lors des conseils d’administration, mais pas seulement.
Et Henri Thonnart de commenter: « j’ai eu l’occasion d’acheter différentes sociétés pour le groupe. Je monte à chaque fois le business plan et je veux suivre ce qui est fait. Je reste concerné par la société et surveille son évolution, tout en laissant le champ libre au management. Bien sûr, l’équilibre doit toujours être trouvé entre la stratégie globale et l’autonomie de chacun. Les décisions ne peuvent pas seulement venir du haut. Il faut souvent trouver des compromis entre la vision groupe et les réalités du terrain. La position d’administrateur me permet de donner des orientations stratégiques, tout en suivant de près l’actualité de la société. Je reste en retrait, mais disponible. Le tout est de mettre le curseur au bon endroit ».
Force de proposition, il siège aussi au Comité de direction du groupe. « Je pourrais difficilement envisager mon rôle sans cet aspect-là. Pour moi, la figure du directeur financier est là pour amener un double regard et une connaissance fine du business. Le CFO n’est plus seulement un homme de chiffre. Il doit être spécialiste de ses matières pour ne pas se faire bousculer par les administrateurs, mais aussi avoir une bonne vision globale. C’est toujours le gardien de la valeur de l’entreprise ».

Terrains communs

Responsable d’une équipe de 20 personnes pour la partie NRB, l’aspect coaching de sa fonction prend beaucoup de temps au CFO. Outre le pilotage global des filiales, de manière classique, on retrouve dans l’équipe des comptables, des contrôleurs de gestion, un juriste, des analystes et des contrôleurs internes, mais aussi des informaticiens, puisque l’IT est gérée depuis le département financier. Les achats, également sous la supervision d’Henri Thonnart, font aujourd’hui partie d’un département séparé, même si cette fonction pourrait, à l’avenir, être transversale et commune aux différentes entités.
« J’essaye de voir chaque personne au moins une fois par semaine en tête à tête. Mes collaborateurs me sont très précieux, ils apportent tous leur pierre à l’édifice. J’ai la chance de travailler avec une équipe stable et très autonome. En tant que consultants, nos ressources, ce sont les travailleurs. Les motiver et leur donner des perspectives de carrière intéressantes est un challenge de tous les instants, notamment dans un secteur aussi compétitif que le nôtre ».
Dans un type d’organisation éclatée comme chez NRB, le volet humain du rôle est d’autant plus important. « Dans un groupe comme le nôtre, il faut sans cesse convaincre et trouver des consensus afin de sauvegarder l’intérêt industriel de l’entreprise, concède-t-il. Une entreprise, c’est avant tout des décisions collégiales que tout le monde doit défendre. L’esprit d’équipe est indispensable et chacun doit pouvoir trouver sa place. Les aspects techniques du métier de CFO sont finalement assez faciles à maîtriser car ce sont des éléments carrés et prévisibles. L’encadrement des équipes est plus challengeant, mais aussi plus enrichissant ».
Grâce à un ERP, la taille de l’équipe finance n’a pas changé avec les années, malgré la croissance du groupe. La plateforme pousse le management à tenir ses objectifs et permet des comptes de résultats mensuels plus précis.« Nos outils nous aident à absorber cette croissance. Toutes les tâches de réencodage n’existent plus. Tout est automatisé, ce qui libère les équipes, qui peuvent se consacrer à des activités à plus grande valeur ajoutée. Le gain de productivité est de taille. Un département financier aujourd’hui, c’est beaucoup d’universitaires pour analyser les données et quelques comptables, il y a vingt ans, c’était l’inverse. La nature des métiers change ».

« Un département financier aujourd’hui, c’est beaucoup d’universitaires pour analyser les données et quelques comptables, il y a vingt ans, c’était l’inverse. La nature des métiers change ».

Harmonisation accrue

Un des gros chantiers actuels pour l’équipe d’Henri Thonnart est de déployer le même référentiel analytique, ainsi qu’un plan comptable commun. Une fois encore, il a fallu être diplomate et à l’écoute de chacun. « Les plus petites antennes avaient leurs propres manières de fonctionner et ne voyaient pas forcément l’intérêt d’en changer. L’idée n’est surtout pas que ce soit la société mère qui impose. Il faut convaincre l’ensemble des acteurs de manière délicate et rester disponible ».
Deux sociétés vont déjà être alignées pour le 31 décembre 2013. Les autres, ce sera pour décembre de l’année prochaine. « Il ne faut pas sous-estimer le volet change management dans ce type de projet. Certaines personnes ont travaillé 20 ans avec le même outil, c’est un gros changement qu’il faut encadrer, notamment par des formations. Ce sont d’autres habitudes à adopter. La manière de travaille change et certains ne s’y retrouvent pas. Il y aura moins d’encodage et plus de réflexion. L’interprétation des données sera également différente, certains peuvent être perdus. On ne se rend pas toujours compte de la perte de repère occasionnée. Je l’avais déjà constaté à plusieurs reprises, il y a toujours une certaine forme de résistance au changement ».

Palette extensible

Traditionnellement, un CFO est amené à établir le budget, réaliser les comptes annuels, gérer les contrats clients, surveiller les achats, encadrer les dossiers M&A, mais aussi motiver ses troupes et recruter de nouveaux talents. « Je recrute souvent des profils qui viennent des Big Four. Généralement flexibles et polyvalents, ils ont connus toute sorte de contextes de travail. Ils ont un côté commercial très développé, y compris en interne. Je m’efforce de garder une certaine diversité des parcours, comme dans le sport, c’est la complémentarité qui fait que la collaboration fonctionne bien. La pyramide des âges est aussi un des éléments à considérer. C’est un équilibre à trouver en permanence », confie Henri Thonnart.
Pour assumer ses responsabilités à géométrie variable, tout CFO doit quitter son bureau et collaborer étroitement avec les autres directeurs, tout en gérant les relations avec l’externe, qu’il s’agisse de relations avec les clients, les actionnaires ou les partenaires bancaires. « Dans notre secteur, un directeur financier doit bien connaître le métier de ses clients et constamment se tenir au courant. Il ne peut pas être déconnecté du terrain et des réalités. Un CFO qui ne voit jamais de clients ne peut pas jouer son rôle. Il reste, bien sûr, le gardien du cadre financier. Pour moi, il doit avoir la moitié de son cerveau dédié aux chiffres et à la rentabilité, et l’autre qui réfléchit à la stratégie et aux perspectives. En prenant trop de risques, on déplace le poids de l’un à l’autre. Chacun doit trouver son propre équilibre ».

Tandem stratégique

Pour défendre l’image de son entreprise, Henri Thonnart travaille de concert avec son CEO.
« Nos bureaux sont physiquement proches l’un de l’autre. Il m’arrive très souvent de traverser le couloir pour lui poser une question et lui fait de même. Il m’emmène souvent à différentes réunions hors de l’entreprise. Nous travaillons en binôme ». Une fois par mois, ils se rencontrent en tête à tête de manière officielle afin de parcourir l’ensemble des sujets financiers. « Chaque mois nous voyons également en tandem les directeurs des verticaux, ainsi que leurs contrôleurs de gestion. Les opportunités de vente et d’engagement y sont discutées. En tant que CFO, je suis amené à participer à de nombreuses réunions stratégiques, cela fait partie du job ».
Ces réunions s’ajoutent au comité de direction tous les 15 jours, ainsi qu’au comité de management qui réunit 12 directeurs. « Cela permet de passer l’ensemble du business au crible. Bien sûr, tout ce qui est transversal prend du temps. On peut ne pas être d’accord sur tout, c’est même souhaitable. Il faut toujours se rappeler qu’on discute sur le contenu, pas sur les personnes, c’est quelque chose que j’ai appris au fil du temps ».