Le handicap salarial belge s’élèverait à 16,5%

Depuis plusieurs années, les opinions divergent concernant l’ampleur de notre handicap salarial et le montant des investissements des entreprises dans la formation de leurs travailleurs. C’est pourquoi le gouvernement fédéral a demandé à la fin de l’année dernière à un groupe d’experts composé de représentants du Conseil central de l’économie (CCE), du Bureau fédéral du plan, de la Banque nationale et du SPF Économie de clarifier ces questions.

Les experts ont publié leur volumineux rapport juste avant les congés d’été. La FEB revient sur la problématique. Pour 21 secteurs, le groupe d’experts a calculé le coût d’un travailleur en Belgique (impôts et cotisations de sécurité sociale compris) et dans les trois pays voisins (Allemagne, France et Pays-Bas). Celui-ci s’élevait en moyenne en 2010 (la dernière année pour laquelle tous les chiffres étaient disponibles) à 39,6 EUR par heure dans notre pays, 32,2 EUR en Allemagne, 33,7 EUR aux Pays-Bas et 36,5 EUR en France. La moyenne pondérée des trois pays voisins s’élevait à 34 EUR. En d’autres termes, un travailleur belge coûte en moyenne 5,6 EUR de plus que dans les pays voisins, ce qui revient à un handicap salarial de 16,5%. Par rapport à l’Allemagne, notre handicap salarial atteint même 23%.

Conserver la compétitivité

Pourquoi le CCE a-t-il donc parlé de 5,1% dans son dernier rapport? 
Depuis 1996, notre pays dispose d’une loi destinée à sauvegarder la compétitivité. En effet, avant 1996, les coûts salariaux belges avaient fortement dérapé, au détriment de la croissance économique et de la création d’emploi. C’est pourquoi cette loi stipule qu’à partir de 1996, nous ne pouvons plus ajouter de handicap salarial supplémentaire : les coûts salariaux belges ne peuvent donc plus évoluer plus vite que la moyenne des trois pays voisins. C’est le CCE qui mesure chaque année si cet objectif est atteint ou pas. Dans son dernier rapport du 21 décembre 2012, il indique que les coûts salariaux belges ont augmenté de 5,1% de plus que ceux des pays voisins depuis 1996. C’est surtout depuis 2006 que les coûts salariaux belges recommencent à fortement déraper.
Il n’y a donc aucune contradiction entre le handicap salarial de 16,5% pointé dans le rapport d’experts et celui de 5,1% du rapport du CCE. Le chiffre du CCE reflète le handicap salarial qui s’est ajouté depuis 1996. Mais il faut y additionner le handicap antérieur à 1996. On arrive alors au chiffre de 16,5% signalé dans le rapport d’experts.



Réductions de charges

Pourquoi certains affirment-ils que le handicap salarial accumulé depuis 1996 est inférieur aux 5,1% du rapport du CCE? 
Pour modérer le handicap salarial belge, différentes réductions de charges ont été introduites ces dernières années. Elles se sont opérées via deux canaux : via la diminution des cotisations patronales à la sécurité sociale ou via la dispense de versement d’une partie du précompte professionnel.
Si l’effet d’une réduction des cotisations patronales est directement perceptible dans les chiffres des coûts salariaux, ce n’est pas le cas pour la dispense de versement du précompte professionnel. La raison en est que, dans les comptes nationaux, cette dispense n’est pas enregistrée comme une diminution du coût salarial, mais bien comme une subvention salariale (c’est-à-dire une augmentation des dépenses publiques). Ces subventions salariales ne se refléteront donc dans les chiffres des coûts salariaux que si elles en sont déduites effectivement. Le groupe d’experts a établi un récapitulatif très détaillé des subventions salariales existant en Belgique et dans les trois pays voisins. On constate qu’elles étaient plus élevées dans notre pays en 2011 (la dernière année pour laquelle tous les chiffres sont disponibles). Il n’est donc pas étonnant que si l’on déduit ces subventions salariales des coûts salariaux, le handicap accumulé depuis 1996 se révèle inférieur aux 5,1% du rapport du CCE (qui ne tient pas compte de ces subventions salariales).



Subventions salariales

Pourquoi ne peut-on pas tout simplement déduire ces subventions salariales des coûts salariaux? 
Le groupe d’experts cite plusieurs raisons pour lesquelles ces subventions salariales ne peuvent être simplement déduites des coûts salariaux. Premièrement, plusieurs de ces subventions salariales n’ont pas directement pour objectif de renforcer la compétitivité des entreprises. Citons par exemple le maribel social, les titres-services, les subventions destinées à remettre les chômeurs de longue durée au travail,. Si l’on déduisait ces subventions salariales des coûts salariaux belges, on donnerait l’impression que notre compétitivité s’est améliorée, alors que ce n’est manifestement pas le cas. Deuxièmement, certaines de ces subventions visent un seul secteur ou quelques secteurs seulement. Les déduire du coût salarial amènerait à nouveau à conclure que la compétitivité de l’économie belge s’est améliorée, alors que ce n’est pas le cas pour la majorité des secteurs. Si l’on veut garder une image correcte de notre compétitivité, il faut donc être particulièrement prudent avant de décider quelles subventions salariales seront prises en compte ou pas. En effet, un thermomètre mal réglé ne peut qu’aboutir à une politique inefficace.

Plus de productivité

Nos entreprises sont aussi en moyenne plus productives que les entreprises étrangères. Cela nuance-t-il en partie notre handicap salarial? 
Le groupe d’experts a démontré que la majorité de nos secteurs souffrent d’un lourd handicap salarial, mais qu’ils sont aussi en général plus productifs. Ce n’est pas vraiment étonnant. En effet, pour éviter la faillite, nos entreprises doivent tout faire pour rester compétitives. Si elles sont confrontées à des coûts salariaux plus élevés, elles sont contraintes d’augmenter leur productivité pour tenter de compenser autant que possible l’effet de ces surcoûts. Nous constatons en effet que l’automatisation du processus de production est plus poussée dans les entreprises belges que dans d’autres pays.
Cela a toutefois eu des effets secondaires, comme la faillite ou la délocalisation de certaines entreprises, l’échec de certains investissements étrangers. De plus, cette évolution a également eu une influence sur l’emploi et la nature des jobs. Ainsi, le recul de l’emploi industriel est plus marqué en Belgique (graphique) et les emplois subsistants requièrent des connaissances plus poussées (e.a. pour faire fonctionner les machines de haute technologie). Il faut donc être prudent lorsque l’on affirme que le problème de la compétitivité de l’économie belge doit être nuancé en raison de notre productivité élevée. En effet, celle-ci n’est pas sans conséquence. Elle a entraîné la perte de nombreux emplois dans le passé. De plus, elle réduit les chances des moins qualifiés d’accéder à un emploi. Enfin, nous observons que ces dernières années, notre productivité a augmenté moins fort que dans les pays voisins. Il semblerait donc qu’à cause sans doute de notre niveau de productivité déjà élevé, nous nous heurtons de plus en plus à un plafond. La stratégie consistant à compenser les dérapages des coûts salariaux par des améliorations de la productivité risque donc d’être moins fructueuse à l’avenir.



Nombreux automatismes

Le fait que les subventions salariales sont plus élevées en Belgique qu’à l’étranger ne prouve-t-il pas que les différents gouvernements fédéraux ont déjà fait beaucoup pour la compétitivité? 
Plusieurs subventions salariales, comme celles en faveur du travail en équipes et de nuit, celles en faveur des chercheurs et la correction interprofessionnelle, sont importantes pour la compétitivité. On ne peut toutefois pas en conclure que la Belgique fait beaucoup plus que les pays voisins pour garder l’évolution des coûts salariaux sous contrôle. L’explication réside dans les nombreux automatismes (par ex. indexation automatique, augmentations barémiques) qui caractérisent la formation de nos salaires. Ainsi, lorsqu’une modération des salaires est nécessaire en Allemagne, les partenaires sociaux conviennent simplement d’augmentations salariales moins fortes.
En Belgique, c’est moins évident à cause des nombreux automatismes, et particulièrement du tabou concernant la réforme de l’index : en effet, les augmentations salariales ne peuvent être inférieures à l’index. En conséquence, on a dû recourir régulièrement à des réductions de charges pour modérer les coûts salariaux. Seuls des mécanismes de formation des salaires moins rigides pourraient y apporter du changement.
Quelles conclusions faut-il dès lors tirer du rapport d’experts? La première conclusion est que nos entreprises souffrent d’un important handicap salarial. Comme nous l’avons vu, celui-ci s’élevait en moyenne à 16,5% en 2010. Il est important que le gouvernement et les syndicats reconnaissent ce pourcentage et ne diffusent pas des chiffres erronés. La deuxième conclusion est que la majorité des subventions salariales ne peut être déduite des coûts salariaux belges.

Handicap évolutif

La prise en compte de minorité déductible restante ne réduit donc que très modérément le handicap salarial accumulé depuis 1996. De plus, celui-ci peut vite évoluer. En effet, la France a adopté en 2013 le ‘Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi’. Selon le groupe d’experts, à vitesse de croisière, cette mesure ralentira l’évolution des coûts salariaux français de 2,35%. Sachant que la France a une pondération d’environ 40% dans le benchmarking annuel réalisé par le CCE, cette mesure suffira à elle seule à ralentir l’évolution moyenne des coûts salariaux des trois pays voisins de près de 1%. Elle n’est pas encore répercutée dans les chiffres du rapport d’experts, qui porte uniquement sur la période 1996-2011. La troisième conclusion, qui découle des deux premières, est que la modération salariale reste importante à l’avenir. Les mesures de réduction des coûts salariaux adoptées par le gouvernement à la fin de l’année dernière constituent un pas dans la bonne direction, mais nous ne pourrons pas nous en contenter si nous voulons réellement résorber notre handicap salarial.

Tous les secteurs

Avons-nous plutôt besoin de mesures salariales linéaires ou de mesures bien ciblées sur quelques secteurs?

Le rapport d’experts démontre que presque tous les secteurs souffrent d’un important handicap salarial (graphique). Il convient donc de miser prioritairement sur des mesures linéaires (par ex. réduction des charges, réforme de l’index, adaptation de la loi de 96). Des mesures ciblées sur quelques secteurs ou activités peuvent éventuellement compléter cette politique, mais elles ne peuvent certainement pas s’y substituer. Certes, certains secteurs parviennent à compenser leur handicap salarial élevé par une productivité accrue, mais on ne peut pas en conclure que la modération salariale serait soudain de moindre importance pour eux. En effet, cette productivité élevée a un prix. Si nous voulons continuer à garantir l’avenir de ces secteurs, ceux-ci doivent aussi pouvoir bénéficier des mesures de réduction des coûts salariaux.

Que dit le rapport d’experts des investissements des entreprises dans la formation de leurs travailleurs? 
Tous les cinq ans sont publiés les résultats d’une enquête européenne sur les efforts des entreprises en matière de formation de leurs travailleurs (la dénommée enquête CVTS). Alors que les données du bilan social indiquent que les entreprises belges investiraient trop peu dans la formation, celles de la dernière enquête européenne démontrent au contraire que nos entreprises affichent de très bons résultats. En effet, selon cette enquête, les investissements dans la formation ont atteint 2,4% de la masse salariale en 2010, ce qui place la Belgique au deuxième rang du classement européen (juste derrière la France).

Bilan social

Qu’est-ce qui explique la grande différence entre les résultats issus du bilan social et ceux de l’enquête européenne? Selon le groupe d’experts, les entreprises oublient généralement d’inscrire dans le bilan social le coût salarial de la personne qui suit la formation. Ces chiffres se limitent ainsi souvent au coût direct de la formation (par ex. le droit d’inscription à la formation). Cette approche sous-estime le budget que les entreprises consacrent chaque année à la formation. Lorsque le groupe d’experts corrige cette sous-évaluation, la différence entre les chiffres issus du bilan social et ceux de l’enquête européenne est sensiblement réduite. Pour 2011 (c’est-à-dire la dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles), les chiffres corrigés du bilan social s’établissent ainsi à 2,21% et 2,4% si l’on se limite aux entreprises de plus de dix travailleurs (ce qui est aussi le champ d’application de l’enquête CVTS).
Cela signifie-t-il que l’objectif qui prévoit d’investir 1,9% de la masse salariale dans la formation est atteint ?
La législation impose aux entreprises belges d’investir en moyenne 1,9% de la masse salariale dans la formation de leurs travailleurs. Si cet objectif n’est pas atteint, on identifie les secteurs dont les efforts de formation sont insuffisants. Les entreprises de ces secteurs sont alors soumises à une sanction financière. Le rapport d’experts démontre pourtant de toute évidence que l’objectif de 1,9% est atteint et que les entreprises respectent donc bien leurs engagements.