« Le premier rôle d’un CFO est de transcender ses équipes »

Eric Pulinx

Aux manettes des finances européennes de la Bank of New York Mellon depuis trois mois, Eric Pulinx a passé 11 ans dans l’audit avant de migrer vers l’univers de la banque postale, puis du groupe américain. Egalement président du comité Prudential Affairs à la Febelfin, il multiplie les responsabilités. Siégeant au conseil d’administration de la banque newyorkaise, comme autrefois chez bpost banque, il n’envisage son rôle que comme partenaire stratégique.

Diplômé de l’UCL en économie appliquée en 1998, Eric Pulinx a progressivement acquis une solide expérience des services financiers et du marché belge. Passionné par ce secteur en pleine mutation, il débute comme consultant chez KPMG et a la possibilité de travailler avec différentes banques de la place. « On est tous confrontés avec les mêmes sujets. Le secteur est dédié à évoluer. Depuis la crise, la gestion des coûts et l’amélioration des résultats font encore débat, partage-t-il. Il nous faut absolument remotiver nos collaborateurs et leur redonner une fierté. Tout le monde fait la même chose partout, il y a des économies d’échelle à faire et des idées à partager. On réfléchit à plusieurs, c’est passionnant ».
C’est dans cette optique qu’il participe à différents groupes de travail au sein de la Fédération belge du secteur financier, notamment sur la liquidité et la simulation de crise. Depuis avril 2012, il contribue également aux réunions du conseil d’administration. « Aujourd’hui, on manque d’enthousiasme dans le monde bancaire. Pourtant, il y a beaucoup d’énergie déployée pour redorer notre blason. La pression est importante. Il faut adopter une vision sur le long terme et voir le bout du tunnel. Les employés ont besoin de leaders éclairés qui parviennent à les inspirer. C’est fondamental pour les équipes. Chaque personne possède son rôle à jouer, c’est un message que j’essaye de faire passer au quotidien ».

Plongée dans l’audit

Eric Pulinx commence sa carrière comme junior chez KPMG. « Débuter dans l’audit est un excellent démarrage. C’est un tremplin qui permet de toucher à différents types d’entreprises et d’organisations. C’est une expérience très riche et qui offre une belle vue d’ensemble du marché, confie-t-il.On y acquière une solide connaissance de best practices approuvées par le terrain. L’audit pousse le leadership, inculque une rigueur, un professionnalisme et un souci du détail marqué, des éléments clés dans la carrière d’un directeur financier. Selon les projets, on change constamment d’équipe. On doit tout le temps s’adapter à d’autres rythmes et manières de travailler. Seul, un CFO ne sait rien faire. Son premier rôle est de transcender ses équipes et les faire monter en compétence pour qu’elles soient toujours plus efficaces. Il touche notamment à des projets de certification de comptes, d’analyses de risques, d’examen de systèmes de contrôles internes et de conseils en stratégie et en organisation ».
En parallèle à ses différentes missions, il complète sa formation en instruments financiers à l’IFCA en cours du soir, puis passe une License en révisorat et expertise comptable à la Haute Ecole Francisco Ferrer. En 2007, il obtient l’examen officiel de réviseur d’entreprise auprès de l’Institut des Réviseurs d’entreprise. « C’est presque un sacerdoce. Durant trois ans, il y a un examen chaque année. Il faut être passionné et avoir une fibre pour le job pour tenir le coup, l’exercice peut se révéler assez lourd. Quand on commence dans un Big Four, on sait généralement après deux ans si on va y rester. L’expérience m’a séduit ».

« Relever mes manches, foncer et me salir les mains en regardant le moteur est ce qui me passionne »

Vocation de banquier

Il grimpe progressivement les échelons et devient Senior Manager et commissaire aux comptes pour plusieurs établissements de crédit, sociétés financières et commerciales. « Sur les 104 banques que compte la Belgique, j’en ai fait d’un tiers ! Mon dossier le plus important était Fortis, notamment dans les domaines du Merchant Bank ».
Apres cette décennie dans l’audit, Eric Pulinx passe ensuite quatre ans au sein de la banque postale bpost. « J’ai beaucoup apprécié mon expérience chez KMPG, mais je suis un vrai banquier de nature. D’ailleurs, dans ma famille, on est trois à avoir choisi ce métier. J’ai toujours voulu rejoindre l’univers de la banque. Bpost banque m’a proposé un vrai défi, se rappelle-t-il. La banque postale voulait mettre en place un plan de renouvellement très ambitieux. Elle souhaitait, pour cela, rendre son comité de direction plus fort. Relever mes manches, foncer et mettre les mains dans le moteur est ce qui me passionne ».
Il cumule les fonctions de Chief Financial Officer et Chief Risk Officer. Il est également un des piliers du Comité exécutif. « Combiner les deux rôles est particulièrement intéressant, même si, bien sûr, ce n’est pas toujours possible et souhaitable. Disposer d’une double casquette permet de gagner beaucoup de temps ».
Eric Pulinx a notamment l’opportunité de mettre sur pied toute une équipe en gestion des risques et instaure un esprit d’équipe au sein du département finance. « Dans un contexte post-crise et de réglementation accrue, c’était passionnant. Il y avait dans la banque un sentiment d’appartenance fort et un turnover très faible, cela a été très agréable de travailler dans ce contexte. Bien sûr, comme dans toute entreprise, il y a une certaine résistance au changement, mais il faut accompagner les équipes et les rassurer, tout en les aidant à sortir de leur zone de confort. Les projets n’y sont pas du tout poussiéreux, contrairement à ce certains pourraient croire. Je suis parti en laissant une équipe autonome, c’est une grande source de satisfaction ».

Nouveau paradigme

Quittant la banque belgo-belge, il prend la direction du volet bancaire du groupe BNY Mellon à la rentrée. Notamment choisi pour son expertise en tant que réviseur d’entreprise, il coordonne à présent six succursales et une filiale depuis Bruxelles : Francfort, Londres, Paris, Amsterdam, Luxembourg et Dublin. « Cela implique une certaine mobilité, mais surtout beaucoup de téléconférences et de réunions virtuelles. Depuis 2007, les déplacements à l’étranger ont été réduits. Je ressens un esprit de corps au sein du groupe, se réjouit-il. C’est une dimension qu’on ne ressent pas toujours dans un tel groupe international. C’est une vraie fourmilière. Le contexte de travail y est très excitant. Mon rôle est avant tout de supporter la banque dans son adaptation au nouveau paradigme actuel. On ne travaille plus comme avant la crise. Le modèle a complètement changé. Une transition fondamentale est en train de s’opérer ».
International par essence, le département financier de la banque est éclaté en plusieurs localisations. Les collaborateurs d’Eric Pulinx se trouvent aux quatre coins de l’Europe. Son rôle de chef d’équipe occupe donc une bonne partie de son temps. « Je conçois mon rôle de CFO comme celui de coach qui insuffle une vision et montre la direction, affirme-t-il. Expert dans son domaine, un directeur financier est aussi là pour soutenir les autres fonctions. Pour supporter les équipes à distance, il faut constamment et maintenir le contact en ne se focalisant pas seulement sur le global ».
Pour partager leurs expériences et autres difficultés, les CFOs du groupe se rencontrent tous les trimestres. « C’est important de se voir aussi en face à face. Etre tous ensemble permet de s’assurer que l’information circule et que la fourmilière fonctionne bien ».

« Je conçois mon rôle de CFO comme celui de coach qui insuffle une vision et qui montre la direction. Expert dans son domaine, un directeur financier est aussi là pour soutenir les autres fonctions »

Garder le cap

Renfort de son CEO, Eric Pulinx est amené à travailler étroitement avec lui. « J’essaye de ne pas avoir que la finance en tête, mais d’adopter une vision d’ensemble afin de faciliter la dynamique de groupe, commente-t-il. Chacun des membres de la direction doit pouvoir sortir du cadre strict de sa fonction, amener sa vision et aider à la prise de décision commune. Au CEO de piloter l’ensemble et de s’assurer que tout choix est équilibré et proportionné ».
Chahuté depuis 2007, le secteur bancaire a besoin de directeurs financiers à poigne. « On est tous à bord du même bateau, il faut parvenir à garder le cap et considérer l’ensemble des partie prenantes: actionnaires, investisseurs, mais aussi membres du personnel ». L’étendue des responsabilités des CFO’s du secteur progresse d’année en année. « En dehors de leurs missions classiques, ils doivent gérer de plus en plus d’aspects prudentiels et donc développer de nouvelles compétences. Avec Bâle III ou CRD4, les matières deviennent très techniques. Dans la banque, le CFO comptable seul dans son bureau n’existe plus, et ce depuis longtemps. De par le gigantisme des organisations, la complexité des environnements, la technicité de la régulation et l’importance des montants, son rôle a toujours été plus stratégique. Il est à la fois devenu un leader, un excellent manager et un fin communicateur », achève Eric Pulinx.