Les agences de notation: responsables ou victimes de la crise?

Méconnues avant les crises de 2008 et 2011, les agences de notation ont longtemps développé leurs activités à l’abri de la clameur publique. Les réactions brutales provoquées par la publication de leurs notes ont poussé les investisseurs et, à leur suite, le législateur européen à remettre en question le rôle de ces acteurs sur les marchés avec pour conséquence l’instauration d’un cadre réglementaire d’une rigueur inédite. Nous en brossons le portrait dans les quelques paragraphes qui suivent.

Depuis leur création au début du 20e siècle jusqu’à l’explosion de la crise financière de 2008, la place des agences de notation sur les marchés ne faisait l’objet d’aucune discussion. Sans doute le système d’émetteur-payeur faisait-il déjà couler beaucoup d’encre depuis sa mise en place au courant des années ’70, mais ni l’existence, ni le rôle des agences sur les marchés ne s’en trouvaient remis en question. Une crise financière et une crise souveraine plus tard, la manière dont les agences sont perçues en Europe a fondamentalement changé avec pour conséquence que leur responsabilité juridique comme morale est aujourd’hui questionnée.
Jusque 2004, l’encadrement des agences était des plus légers. Seuls les Etats-Unis, dont les trois grandes agences que sont Moody’s, Fitch et Standard&Poor’s sont les ressortissantes, avaient mis en place depuis 1975 une procédure d’enregistrement auprès de l’autorité américaine, la Securities and Exchange Commission. Ce sont les débâcles financières d’Enron en 2001 et de Parmalat en 2003 qui ont provoqué la rédaction du premier de Code de conduite pour les agences de notation par l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs. Quelques jours avant la mise en faillite de ces entreprises, les agences de notation attribuaient en effet encore à leurs dettes les meilleures notes de leurs échelles de notation.
En décembre 2004 donc, l’OICV qui rassemble en son sein les organes chargés de la surveillance des marchés d’une grande majorité d’Etats publie le Code of Conduct Fundamentals for Credit Rating Agencies. Ce Code jette les bases d’une future réglementation des agences. Les quatres thèmes qu’il développe – l’indépendance des agences et les stratégies à adopter pour éviter les conflits d’intérêts ; la qualité et l’intégrité du processus de notation ; la transparence et la clarté des notes et enfin, la confidentialité dans le suivi des dossiers – seront repris et amplifiés par le Règlement européen sur les agences de notation adopté au lendemain de la crise financière en septembre 2009.

« L’exercice de détection et de démonstration d’une faute sera très difficile à réaliser. »

Ce premier Règlement mêle les méthodes de régulation américaine et internationale des agences de notation en instaurant tout à la fois une procédure contraignante d’enregistrement auprès de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF) et une série de règles substantielles touchant à l’émission des notations. Loin de constituer un aboutissement, le Règlement 1060/2009 n’était en fait que la première étape de la régulation européenne des agences. Un second Règlement a été adopté en mai 2011 et la troisième salve de mesures a été publiée sous forme de propositions en novembre 2011. Après une courte période d’autorégulation sous le régime du Code de conduite de l’OICV, les agences de notation ont vu la mise en place d’une surveillance rapprochée de la part de l’Union.

Règles plus substantielles

Les objectifs de l’Union sont clairs et dépassent largement le cadre de la réglementation des agences. L’Union européenne a besoin d’un marché où des informations de qualité circulent afin d’assurer tant la protection des investisseurs que celles des entreprises. Pour atteindre ce but, l’Union a décidé d’imposer aux agences de respecter des exigences très variées touchant tant à leur structure externe, à leur organisation interne qu’à la manière concrète dont les notations sont produites.
Ces règles sont pour certaines d’entre elles assez classiques. Il en va ainsi de l’obligation de disposer d’un nombre minimum d’administrateurs indépendants, de séparer distinctement les activités de notation des activités accessoires pouvant attenter à l’indépendance des premières, d’informer le marché de sa structure sociale, de la structure de son actionnariat ou encore de publier annuellement un rapport comprenant un série d’informations sur la société.
Parmi les règles actuellement en vigueur, les méthodes utilisées par les agences ont particulièrement retenus l’attention de l’Union. Les enquêtes parlementaires, particulièrement du Sénat américain, ont montré un certain flottement dans le choix et l’application de ces méthodes par le passée, particulièrement aux produits structurés. Ne souhaitant pas franchir le pas d’imposer aux agences l’usage de certaines méthodes, l’Union leur impose de pouvoir être à tout moment en mesure de justifier que les méthodes utilisées sont rigoureuses, systématiques, sans discontinuités et pouvant être validées par des données historiques, y compris des contrôles a posteriori. Les agences doivent aussi publier avec chaque note un rapport expliquant la méthode choisie, la raison de ce choix, la version de la méthode utilisée, les principaux éléments ayant aboutis à la note et la part d’analyse quantitative et qualitative de chaque rating. Le problème de ce type de règle est qu’à vouloir trop augmenter la transparence, on risque d’étouffer même l’investisseur le plus consciencieux sous un amas d’informations dont il ne retiendra au final que le résumé synthétique formé par le rating.
Les règles à venir sont plus atypiques et ne vont pas sans poser question. L’Union propose par exemple d’instaurer un système de rotation des agences en plus du système existant de rotation des analystes afin d’éviter tout conflit d’intérêts avec les émetteurs. Les agences ne pourraient pas noter la même entité pendant plus de trois ans, voire plus d’un an dans certains cas, et devraient ensuite respecter une période de gel de quatre ans avant de pouvoir recommencer à noter cette entité. La volonté est celle d’ouvrir le marché, de lutter contre les conflits d’intérêts et de développer la concurrence sur le marché de la notation. Le résultat risque pourtant d’être une atomisation encore plus importante du secteur de la notation du fait de la nécessaire collaboration entre les agences et une augmentation très significative des coûts pour les émetteurs qui devront à chaque rotation repayer pour l’analyse de leur dossier, et ce d’autant plus que l’Union souhaite imposer la double notation de tout produit financier structuré.

Quelle responsabilité?

Pour l’heure le contrôle des agences s’inscrit particulièrement en amont de la note, dans l’instauration de la procédure d’enregistrement et le déploiement de règles relatives aux méthodes ou à la publication des notes. Dans un premier temps, l’Union avait délégué aux Etats membres le soin de régler le délicat problème de la responsabilité des agences de notation. Règlementer cette question relève en effet d’un très difficile exercice d’équilibriste compte tenu de la grande disparité existant entre les régimes juridiques des 27 Etats membres.

« Le résultat risque d’être une atomisation encore plus importante du secteur. »

Pourtant, dans les propositions formulées en novembre 2011, et constatant que mise à part la France, aucun Etat n’avait mis en place de régime spécifique de responsabilité pour les agences de notation, la Commission s’est mise en quête d’un standard européen de responsabilité. Son opportunité a été très fortement contestée par les agences qui ont mis en garde contre le risque d’un lissage des notes voire de refus des agences d’encore noter des produits trop complexes, ceux pour lesquels justement un maximum d’informations est utile et nécessaire. L’Union a tenu bon et a proposé d’insérer un nouveau titre consacré à la responsabilité civile des agences dans le droit européen. Ces nouvelles dispositions ouvrent-elles la voie à des procès à répétition contre les agences? C’est peu probable. Non seulement, le texte ne prévoit de mise en cause que pour faute grave ou intentionnelle dont la survenance est des plus hypothétiques mais en plus ne donne-t-il aucune indication précise sur la consistance des preuves à rapporter. L’exercice de détection et de démonstration d’une faute sera en conséquence très difficile à réaliser.
Un autre changement proposé de la législation européenne nous semble plus intéressant en termes de responsabilité et ouvre la porte à d’éventuelles procédures. L’Union a en effet décidé de rendre nulle et non avenue toute clause exonératoire de responsabilités qui serait comprise dans des contrats de notation. Les émetteurs sont sans doute les plus à même de détecter une faute et d’en subir un dommage. L’Union leur offre désormais la possibilité de tenir les agences responsables si elles devaient faillir à leurs obligations. C’est une petite révolution pour les agences qui figurent parmi les entreprises les plus tatillonnes au sujet de leur responsabilité, insérant systématiquement dans tout contrat des clauses leur permettant d’éviter des litiges.

Responsables ou victimes?

Depuis 2008, les agences se sont vues accusées de maux contradictoires. On a d’abord critiqué leur manque de réaction et leur lenteur face à la dégradation du marché américain des prêts hypothécaires avant de leur reprocher de réagir trop rapidement aux annonces faites par les politiques européens, ne laissant aucune chance aux mesures adoptées de sortir leurs effets. Ces critiques, la révélation de leur influence sur le marché ne permettaient plus aux agences de continuer à travailler dans l’ombre des sociétés qu’elles notaient.
Désormais, les agences sont rangées au titre des acteurs du monde financier. Elles ne se situent plus quelque part entre les marchés et les Etats. Elles seront, dans un avenir très proche, dépossédées de leur rôle réglementaire. Elles pourront voir leur responsabilité mise en œuvre par leurs clients. Elles devront comme de nombreuses autres institutions financières se plier aux fastidieux exercices de la production périodique de rapports ainsi qu’au contrôle de l’AEMF, dotée par l’Europe d’un très puissant arsenal de surveillance et de sanction. Le constat que l’on peut dresser aux premiers jours de sortie de crise est que si les agences portent une part de responsabilité dans la crise, elles en auront été aussi parmi les principales victimes.

Texte: Edith Weemaels
Avocate chez NautaDutilh, Edith Weemaels a reçu le prix du meilleur travail de fin d’études d’un étudiant d’une université belge décerné par le magazine juridique Revue pratique des sociétés, pour son mémoire consacré à la responsabilité des agences de notation.

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