« Les marchés matures doivent quitter leur zone de confiance »

Atradius

Dans le cadre du séminaire Qui ne risque rien, n’a rien organisé par Atradius, plusieurs spécialistes de l’assurance crédit se sont interrogés sur les inquiétudes des CEO et les défis auxquels les leaders doivent désormais répondre. Parmi ceux-ci figure la recherche d’une croissance profitable et surtout durable.

Pour Christophe Cherry, Country Director d’Atradius Belgique et Luxembourg, les chefs d’entreprise sont en ce moment face à un paradoxe de taille. « Ils doivent être capables d’augmenter les revenus de leur organisation, en général à l’aide d’investissements, mais aussi de stimuler le profit, ce qui a souvent pour effet de réduire les dépenses. La question de la durabilité suppose de réussir à accroître ses revenus. Le contexte est difficile, la plupart des sociétés manquent de financement. Pour beaucoup de PME, créer de la valeur sans diminuer les coûts est très difficile. Ce n’est pourtant pas impossible. Sans prendre de risques, rien ne se passe. Il faut oser pour innover et se distinguer, particulièrement en période de crise. »

Sortir des frontières

Pour Simon Groves, Experential Marketing Manager chez Atradius, le salut des économies européennes réside dans la recherche de nouveaux marchés, notamment en Chine, en Inde, en Turquie, Lituanie, Bulgarie ou encore en Pologne. Les 27 envisagent leurs exportations à la baisse, en témoigne les taxes de fret routier, un bon indicateur de leur volume.
« Les marchés  matures doivent sortir de leurs zone de confiance et ne plus se limiter à leurs marchés historiques. Le profit se trouve ailleurs. Bien sûr, les nouvelles ne sont pas très bonnes, on ne parle que de chômage, de pénurie et d’endettement, ça ne donne pas envie d’innover, explique-t-il. Prenons l’exemple de la Belgique, qui est fortement dépendante de ses exportations. Elle travaille avant tout avec ses voisins, or la France et l’Allemagne ont connu un écroulement sévère de leurs importations ces derniers mois, ce qui a des conséquences durables sur leurs partenaires. A titre d’exemple, les activités du pays en Pologne ne représentent que 2% des exportations, pourtant le marché intérieur polonais représente près de 38 millions de consommateurs, les Belges ne devraient pas hésiter. Bien sûr, il y a certaines contraintes logistiques, culturelles et juridiques dont il faut tenir compte, mais elles ne devraient plus constituer un frein pour entreprendre. »

« On ne peut plus extrapoler le passé pour expliquer le présent ».

Soutien artificiel

Pour Ivan Van de Cloot, professeur d’économie à la HUB et Chief Economist à l’Institut Itinera, un think tank axé sur la finance, la durabilité en termes de croissance économique est une préoccupation qui a malheureusement disparu au cours des dernières décennies. « Plusieurs chiffres, comme la dette totale de l’économie aux USA, nous montrent que nous sommes actuellement dans une période de troubles non temporaire et sans précédent, mais qui offre, néanmoins, de nouvelles perspectives. Un des constats à observer est qu’on ne peut plus extrapoler le passé pour expliquer le présent, on ne peut plus se contenter de recycler de vieilles recettes. Une chose est sûre, il y a une vraie ignorance de l’économie réelle chez beaucoup d’hommes politiques. Les logiques politique et économique sont souvent en opposition en Europe. »
Si les niveaux de croissance sont en baisse aux quatre coins de l’Europe, rien de vraiment nouveau pour autant pour Ivan Van de Cloot. « Le taux de croissance européen était déjà assez modéré avant la crise, il faut voir plus loin que ce seul symptôme. Aujourd’hui la situation économique est très artificielle, le système financier est sous perfusion. Les banques centrales le maintiennent sous respirateurs, mais ce n’est pas quelque chose de nouveau. Il n’y a pas si longtemps, à la fin des années 90, les banques centrales ont injecté beaucoup de liquidités sur les marchés par peur du passage à l’an 2000. Cela dit, il faut parfois relativiser cette crise, beaucoup de gens mènent encore la même vie qu’en 2007. »

« Une union monétaire ressemble à un mariage, avec des bons et des mauvais jours ».

Enjeux monétaires

Contrairement à d’autres pays, les 27 membres de l’UE n’ont pas la possibilité de dévaluer leur monnaie, un remède à court terme souvent utilisé pour relancer l’économie. « La douleur est encore forte en Europe, puisqu’au début de la crise, nous venions de lancer une monnaie unique, c’est assez symbolique. A mes yeux, une union monétaire ressemble à un mariage, avec des bons et des mauvais jours », explique encore Ivan Van de Cloot. Pour ce dernier, différents mécanismes, notamment inspirés des Etats Unis, peuvent solidifier une union monétaire : la flexibilité salariale et la mobilité du travail permettent de compenser la dévaluation de la monnaie.
« Les Etats-Unis ont une longue tradition d’union monétaire. Avec le temps, différents instruments se sont mis en place. Lors de la dernière crise automobile, par exemple, une solidarité a émergé au sein des travailleurs, qui ont accepté de baisser leur salaire pour conserver leur emploi. Il y a également beaucoup plus de mobilité sur le marché de l’emploi, de nombreux travailleurs américains acceptent de changer d’Etat pour un poste, c’est moins le cas en Europe. Un troisième élément pourrait être un fédéralisme budgétaire accru. Les Etats américains partagent beaucoup de transferts de fonds. Dans ce domaine, il y a moins de solidarité entre les pays membres de l’Union. »
Quant aux solutions à apporter au manque de compétitivité en Europe, les économistes sont loin d’être unanimes. Il faudra, en tous cas, réagir à temps pour parvenir à évacuer le trop plein de liquidités. « On vacille souvent entre dépenses pour relancer l’économie et réductions budgétaires, conclut-il. Deux scénarios sont souvent envisagés pour réduire l’endettement: la fiscalisation et la monétarisation des dettes On a aussi besoin d’une coordination plus efficace entre les pays européens. Certains ont besoin d’oxygène venant d’autres pays, d’autres devront faire davantage d’efforts. Globalement, nous avons évité la situation des années 30, même si nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. Je pense que ce sera un chemin de croix d’au minium dix ans. Historiquement, chaque fois qu’il y a eu une crise de l’endettement, il y a eu un changement des rapports de pouvoir dans le monde. L’Occident va devoir se réinventer. »

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