« Les pharmaciens sont des entrepreneurs »

Olivier Mallue

Co-fondateur de la première pharmacie en ligne belge, Olivier Mallue s’est intéressé au monde des officines il y a huit ans déjà. Au départ un pari risqué – le marché belge de la pharmacie étant plus que saturé –, newpharma s’est mué en success-story après quatre ans à peine. Gérée depuis Liège, l’entreprise emploie à présent 21 personnes. Répondant à une demande de rapidité et de confidentialité, le site a trouvé son public.

Depuis les débuts de newpharma, près de 1.500.000 produits ont été livrés à quelque 250.000 patients, séduits par cette nouvelle manière de se soigner. Très compétitif, le secteur belge de la pharmacie comptait 5.062 officines en 2012, soit une pharmacie pour 2.150 habitants. Elu meilleur site d’e-commerce belge en 2009, newpharma a réussi à tirer son épingle du jeu en mettant ses atouts en avant: pas d’horaires de commande, des tarifs et des frais de port raisonnables, un grand choix de produits et de marques, 30.000 références livrables en 24h, une discrétion à toute épreuve…
Trois fondateurs se partagent sa gestion: Olivier Mallue, Purchase Manager et initiateur de l’aventure; Michael Vandenhooft, Marketing Manager, et Jérôme Gobbesso, COO. Si le site n’entend pas remplacer le contact avec un praticien, il reprend toutes les notices des médicaments consultables en ligne et édite un magazine avec des conseils et des articles sur la santé. Expédition et suivi des commandes, gestion du stock et emballage se font depuis le siège de Liège.

Parcours mouvementé

Après une licence en administration des affaires à HEC, Olivier Mallue démarre sa carrière dans la vente chez Coca-Cola. « J’ai débuté dans une fonction commerciale pour le département Cold Drinks, raconte-t-il. Mon rôle était d’optimiser les points de ventes dans les écoles, les centres sportifs, les parcs d’attraction, les universités… La fonction permettait une certaine marge de manœuvre et de créativité: une expérience très instructive! » Ce qui l’intéresse en rejoignant une grosse machine comme Coca-Cola, c’est d’abord les perspectives d’évolution… En 1994, il accepte la fonction de Sales District Manager et prend la tête d’une équipe de commerciaux.
Mais, suite à des désaccords internes, Olivier Mallue a besoin de changement et prend la fonction de responsable commercial pour la Wallonie chez Versatel Telecom, une société hollandaise qui souhaitait alors s’implanter en Belgique suite à la libéralisation du marché. « Je ne connaissais pas du tout le secteur, mais ce domaine d’activités m’intéressait. Beaucoup de choses étaient à faire et se mettaient en place. C’était une période très intéressante. Malheureusement, après deux ans, notre directeur commercial a été remplacé par quelqu’un du siège et l’ambiance de travail s’en est ressentie. Il a choisi de virer toute l’équipe. Suite à cela, je me suis pas mal remis en question et j’ai réfléchi à ce que je voulais faire… »

Expérience de start-up

Olivier Mallue choisit alors de partir à Luxembourg chez OneWeb en tant que Sales Manager. En parallèle, il reprend le chemin des études et suit un master en marketing international et e-business. « Un peu par hasard, j’entends alors parler du lancement d’une start-up via un ami. Le courant est très bien passé avec un des fondateurs. Au départ, nous étions sept collaborateurs. Nous avions peu de moyens, mais il y avait un dynamisme et une implication incroyables au sein de l’équipe. Tout le monde travaillait énormément. Ce fut une expérience humaine formidable. C’est la première fois que j’ai vraiment pris conscience que, même en étant microscopique, on peut faire de grandes choses. En exploitant une niche, même si on est un petit acteur, on arrive souvent à être plus créatifs et audacieux que les grandes structures. »
Encadrées par deux fondateurs, la start-up est financée sur fonds propres. Si les départs sont très prometteurs, l’explosion de la bulle internet ne facilite pas la recherche de capitaux et met en danger la société. « Tout d’un coup, internet faisait peur, l’enthousiasme est violemment retombé. Trouver des fonds est devenu très difficile à ce moment-là. Or, pour pouvoir développer nos idées, nous avions besoin de davantage de capitaux. Toute l’équipe a accepté de baisser son salaire, mais cela n’a malheureusement pas suffi. J’ai adoré cette aventure. »

Annuaire en ligne

En 2002, Olivier Mallue endosse la fonction d’Internet Manager chez Kompass, une filiale de France Télécom spécialisée dans les annuaires en ligne. « Centré sur le papier, France Télécom s’est rendu compte de son retard en la matière et a souhaité passer en ligne, ce qui changeait complètement son business. J’ai été engagé pour participer à la réflexion et à la définition de la stratégie. Je travaillais main dans la main avec le directeur général Benelux. Nous partions d’une page blanche, c’était très excitant. La grande force de Kompass était sa base de donnée à l’échelle européenne. »

« En exploitant une niche, même si on est un petit acteur, on arrive souvent à être plus créatif et audacieux que les grandes structures. »

Suite à des milliards de pertes, le géant des télécoms resserre ses budgets et supprime toutes les activités connexes à son core business, mettant un point final au projet d’annuaire en ligne. « J’en ai vraiment eu assez d’une carrière à la merci des décisions des autres, confie Olivier Mallue. Depuis l’université, j’avais gardé l’idée de lancer mon propre business dans un coin de ma tête, ce que j’ai fait un peu plus tard après une parenthèse dans l’immobilier. Dans un premier temps, je ne savais pas trop où je voulais aller, mais je savais ce que je ne voulais plus. » Ayant envie d’une expérience totalement différente, il choisit de racheter une maison pour la retaper et la moderniser entièrement.

Communauté à animer

Olivier Mallue se lance ensuite dans un projet de plateforme de discussions. « Après quelques mois, un ami pharmacien me propose de l’aider à développer son blog qui rassemblait environ 200 de ses confrères. On s’est progressivement rendu compte qu’il y avait une forte demande de contacts dans ce métier », explique-t-il. C’est de cette manière qu’il découvre le secteur de la pharmacie. « Les pharmacies sont des mini-entreprises qui sont souvent mal outillées en matière de gestion ou de marketing. A l’époque, il y en avait 5.500. De nombreux pharmaciens indépendants se sentaient isolés et avaient envie de partager leurs expériences et difficultés respectives. Notre idée était de les faire se rencontrer et de partager des solutions. »
Après le changement du design du blog, le forum lapharma.be est né. « L’initiative, qu’on a défendue auprès des grossistes, a très bien fonctionné. Rapidement, nous avons atteint 5000 visiteurs mensuels, ce qui nous a permis d’atteindre un certain niveau de crédibilité. En parallèle, nous avons commencé à démarcher des laboratoires pour faire de la publicité sur le site. Cela a pris progressivement. »
Olivier Mallue et son partenaire réfléchissent alors à mettre en place un système de cartes de fidélité compatibles avec tous les systèmes d’opération présents dans les pharmacies. « Il n’y a avait pas d’équivalent sur le marché. Nous avons mis en place une structure de code barre compatible avec l’ensemble des systèmes informatiques utilisés. Toute simple, cette idée permettait de calculer directement les ristournes, quelle que soit la plateforme utilisée et sans devoir ajouter de software supplémentaire. Vendues à 30 cents par pièce, les cartes sont parties comme des petits pains. En travaillant avec mon ami pharmacien, j’ai commencé à développer une bonne vision de ce marché très particulier. Il faut savoir qu’un pharmacien ne vend rien, il délivre. Il sert des patients et non des clients. »

Remèdes par la poste

En 2005, les deux partenaires se posent beaucoup de questions quant à l’évolution du métier. « Aux Pays-Bas et en Allemagne, on a vu des pharmacies en ligne se développer. Le secteur était en pleine évolution et l’idée allait sans doute germer en Belgique tôt ou tard, résume Olivier Mallue. Nous avons choisi d’anticiper et de saisir l’opportunité d’être les premiers sur le territoire belge. Pendant plusieurs mois, nous avons réfléchi à la manière de fédérer les acteurs de la pharmacie autour d’une idée commune. »

«Les pharmacies sont de mini-entreprises, qui sont souvent mal outillées en matière de gestion ou de marketing.»

Après avoir évalué plusieurs scénarios et disposant d’une réserve financière constituée par leurs activités précédentes, dont la vente des cartes de fidélité, ils fondent newpharma, la première pharmacie belge sur le web, un pari risqué car peu de gens croient en son potentiel. Le projet démarre en 2007, le site est ensuite lancé en 2008 sans aucun médicament, puisque la loi ne le permet pas encore. « En Belgique, la densité de pharmacie était la plus élevée d’Europe. Cependant, le recours au e-commerce commençait à gagner du terrain dans d’autres secteurs et nous étions plus que convaincus du potentiel. Plus de choix, davantage de facilités à commander, la pharmacie en ligne ne manquait pas d’atouts. Plutôt que de customiser une plateforme existante, nous avons choisi de développer un nouvel outil. Nous voulions un système sur mesure et agréable à utiliser. Pendant toute la période de développement, notre source d’inquiétude était qu’une autre société travaille sur la même idée. » La course contre la montre se poursuit, surtout que la loi interdisait alors toujours la vente de produits pharmaceutiques en ligne.
 

Cadre légal

C’est un arrêté royal de janvier 2009 qui permet finalement la vente de médicaments en ligne. Il fixe l’obligation pour un site d’être lié à une pharmacie existante. La circulaire FAMHP pour Federal Agency for Medicines and Health Products, parue à la même période en fixe les modalités pratiques. Une fois l’autorisation acquise, l’équipe de newpharma s’agrandit en cours de route. « Nous avons mis un an à trouver les bons partenaires: Michael Vandenhooft et Jérôme Gobbesso, devenus associés au fil du temps. Nous sommes aujourd’hui trois fondateurs, chacun dispose de sa spécialité. Nous sommes très complémentaires. Mon rôle a évolué en parallèle, je m’occupe davantage des accords commerciaux. » Les décisions stratégiques se prennent désormais à trois.
Une fois la plateforme achevée, d’autres enjeux se posent. La concurrence commence à arriver et il faut améliorer le référencement du site. « Au départ, nous avons été très raisonnables dans notre business plan. Nous devions faire 100 colis par jour, ce que nous avons rapidement fait, mais d’autres défis plus technologiques sont arrivés. Avoir le plus beau site du monde ne sert à rien s’il n’est pas fréquenté. Le référencement représente un travail quotidien. »
Très codifié et normé, le secteur de la pharmacie possède une législation assez contraignante. Faire la promotion des prix n’est pas autorisé et le recours à la publicité est très limité. Olivier Mallue poursuit: « On ne peut gérer une pharmacie comme n’importe quel commerce. C’est un métier que je continue encore à découvrir. La publicité, par exemple, n’est que tolérée et n’est pas admise sur des sites commerciaux. Dans l’esprit de l’ordre des pharmaciens, on ne peut pas voler la clientèle des autres. Tout le monde a déjà une pharmacie, on détourne donc forcément les patients de quelqu’un. Cependant, nos études montrent que presqu’aucun de nos clients ne vient exclusivement sur notre site. Les usages peuvent être complémentaires. Commander en ligne ne remplace, bien sûr, pas la relation en face à face. »

Pas de diagnostic

La législation belge interdit la vente de médicaments nécessitant une prescription, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. « On ne vend aucun produit qui requiert une prescription. La plupart de nos commandes constituent des petits montants. Toutes les notices sont en ligne. D’ailleurs, certains internautes ne visitent que ces pages-là. Nous vendons également beaucoup de produits cosmétiques », commente le fondateur de newpharma. Un numéro gratuit permet en outre aux utilisateurs du site d’avoir des conseils sur l’usage d’un produit ou des réponses à leurs questions.
« Nous ne faisons pas de diagnostics à distance, insiste-t-il. Nous n’avons pas l’historique du patient, ni toutes ses données. Nous ne voulons surtout pas entrer dans cette logique. Dans cette optique, nous avons choisi de limiter la vente d’un médicament à trois unités par référence. Ce n’est pas une obligation légale, plutôt une mesure de précaution. Dans le cas d’une addiction à la codéine, par exemple, certaines personnes surconsomment des sirops pour la toux. La vérification se fait sur base de l’historique du site. Si la limite est dépassée, la commande est bloquée jusqu’à l’intervention d’un pharmacien, c’est lui qui prend la décision d’autoriser la livraison. Nous faisons attention à l’auto-médication. Nos patients sont autant contrôlés que dans une pharmacie traditionnelle. »

Changement d’usages

En moyenne, une pharmacie possède 3.500 références de stock. newpharma en possède environ 5.000, mais collabore avec des grossistes pour livrer ses produits en 24h. Son chiffre d’affaires équivaut à celui de 39 pharmacies traditionnelles. D’ici la fin 2013, il devrait atteindre l’équivalent de 65 pharmacies. « Nous avons interconnecté les bases de données des grossistes afin de connaître leurs stocks quotidiennement, ce qui nous permet de gagner en rapidité, dévoile Olivier Mallue. Actuellement, il y a un grossiste qui livre l’entrepôt presque toutes les heures. Les produits disponibles sont remis à jour quotidiennement. »

« Avoir le plus beau site du monde ne sert à rien s’il n’est pas fréquenté. »

Le client-type commande généralement en dehors des heures de bureaux, 51% des visiteurs font leurs achats le soir ou les weekends. 70% des consommateurs sont des femmes. « Notre cible est une jeune mère de famille active et qui manque de temps.» Presque la moitié des commandes est envoyée à l’étranger: principalement en France, au Luxembourg, ainsi qu’aux Pays-Bas, mais aussi, dans une moindre mesure, en Allemagne, en Espagne et en Italie. En janvier 2009, il y avait environ 1.000 commandes par mois; en mai 2010, 5.000; en mai 2011, 10.000 et, en septembre 2012, presque 16.000. En mars 2013, ce chiffe atteignait 20.547 .
« En 2011, 46% des Belges avaient au moins réalisé un achat en ligne, conclut Olivier Mallue. Le secteur de la pharmacie en ligne est un marché jeune, il représente environ 6% du total de l’e-commerce. Je suis convaincu que la marge de progression est énorme, même si les médicaments n’atteindront probablement jamais les chiffres des billets d’avion, par exemple. Cela reste encore mal vu d’acheter des médicaments sur le web pour beaucoup de consommateurs… »