« On va consommer les médias d’une toute autre façon »

Directeur financier de la RTBF depuis l’été 2009, Chris Vandervinne peut déjà se prévaloir de solides résultats. A peine arrivé dans la maison du boulevard Reyers, le gel de la dotation par la Communauté française l’a plongé dans le feu de l’action, avec un plan d’économies de 51 millions d’euros à goupiller! En deux ans, il a par ailleurs agi sur deux leviers clés de la gestion financière – la centralisation/simplification de la comptabilité et la rapidité d’accès à l’information financière –, tout en s’impliquant au niveau stratégique dans une entreprise dont l’environnement et les métiers sont en pleine mutation.

C’est la dernière ligne droite: le top de la RTBF s’attelle à finaliser sa stratégie 2016, avec de sérieux défis à relever. Tout comme les autres institutions du paysage audiovisuel, l’entreprise de service public francophone est confrontée à la diversification croissante des manières de consommer les médias avec, notamment, la multiplication des outils (TV connectée à internet, mobiles, etc.) et le développement de l’interactivité. Demain, le consommateur lambda va pouvoir décider de regarder les émissions quand il veut et où il veut, en ayant la possibilité d’enrichir les programmes par le biais du web.
Mais la RTBF doit faire face à un défi supplémentaire, à savoir la façon dont la Communauté considère son opérateur audiovisuel… sachant qu’elle n’a cessé jusqu’ici de se désinvestir. « En 1990, le budget de la RTBF représentait 3% du budget de la Communauté française et ce poids a été réduit à 2,1% aujourd’hui, illustre Chris Vandervinne. Si l’on prend une base 100 correspondant à 1990, la dotation vaut aujourd’hui 95 en euro constant, alors que les autres budgets se situent autour de 135 à cet échelon de pouvoir. Avec une dotation de 203 millions d’euros, nous nous situons au niveau le plus bas en Europe, après l’Irlande! »
Or, dans un environnement technologique en pleine mutation plane une grande interrogation sur l’évolution des recettes publicitaires. « Notre défi stratégique est là: comment évoluera notre modèle de revenus, actuellement composé à 30% de rentrées publicitaires et à 70% par la dotation. Nous croyons à la convergence entre internet et la télévision, ce qui va ouvrir de nouveaux champs de rentrées publicitaires… tenant compte que la concurrence va, elle aussi, s’intensifier avec de nouveaux grands joueurs tels que Google TV ou Apple TV. Il nous faut donc convaincre le politique de la nécessité de disposer de moyens pour répondre adéquatement à nos missions, notamment en renforçant notre crédibilité et en démontrant le professionnalisme de notre gestion. »

Dans le détail

Intéressé par les sciences, les technologies et les mathématiques, Chris Vandervinne ne se prédestinait toutefois pas à une carrière en finance. Encouragé par un de ses professeurs du secondaire, il réussit l’examen d’admission à l’Ecole Polytechnique de l’ULB avec, en tête, des rêves de fabrication d’avions et de fusées. Ses premiers contacts avec le monde de l’entreprise vont toutefois l’amener à réajuster le tir. « A l’occasion de stages effectués chez Solvay et Tractebel Engineering, j’ai compris que le travail de l’expert pointu calfeutré dans un bureau n’était pas vraiment fait pour moi, confie-t-il. Mais, à l’inverse du métier d’ingénieur pur et dur, je me voyais bien m’épanouir dans la gestion: la variété des dimensions à prendre en compte m’attirait. »

« L’informatique de gestion m’a appris à regarder tous les processus financiers dans le plus grand détail. »

C’est ainsi qu’il étoffe son bagage d’une licence spéciale en gestion à l’Ecole de Commerce Solvay, après avoir fait ses premières armes chez Cap Gemini en tant qu’analyste fonctionnel. Il y travaille notamment sur deux projets liés au trafic ferroviaire, pour la SNCB et Eurostar. Puis, au printemps 1995, il intègre la Sabena au sein du département IT où il prend en charge l’implémentation du projet SAP-R3. A 23 ans à peine, il se retrouve ainsi chef d’une équipe projet dans la première compagnie au monde à faire fonctionner sa gestion comptable et de la maintenance sous ce système.  
« Une école fantastique, pointe-t-il. L’informatique de gestion m’a appris à regarder tous les processus financiers dans le plus grand détail, dans une optique d’automatisation mais aussi de simplification. J’ai pu être confronté à du travail comptable en allant très en profondeur dans celui-ci, ce qui est extrêmement important lorsqu’on exerce par la suite une fonction de direction financière. Il s’agissait par ailleurs d’un vaste chantier de changement au cours duquel j’ai appris à communiquer avec des personnes qui ne parlaient pas le langage IT. Ce projet a duré 18 mois et a été mené principalement avec des ressources internes, ce qui a représenté un vrai défi en termes de respect des deadlines. »

Porter et Merton

Très régulièrement en contact avec le département financier, Chris Vandervinne saisit alors l’opportunité d’évoluer dans cette direction, dans une fonction de contrôleur de gestion. Il y travaille au financement des avions et des activités connexes dont les hôtels du groupe, avec aussi une responsabilité de consolidation. « La Sabena avait décidé d’acheter 34 Airbus moyens courriers et 10 appareils longs courriers, une décision qui allait précipiter la faillite de l’entreprise quelques années plus tard, raconte-t-il. A l’époque, j’avais modélisé le plan financier sur une durée de dix ans, ce qui, malheureusement, démontrait que, dans le scénario le plus raisonnable, la compagnie allait rencontrer des problèmes de liquidités au plus tard en 2002. Présenté en août 1998, ce signal d’alerte n’a pas été entendu, contré par l’argument que la vente de certains actifs et la revente d’avions résoudraient la problématique. »
C’était sans compter les attentats du 11 septembre 2001 et une crise sans précédant pour le secteur aérien, faisant éclater les scénarios optimistes sur lesquels avaient tablés les dirigeants de la Sabena. Entre-temps, Chris Vandervinne s’est lui-même envolé pour les Etats-Unis où il réalise un vieux rêve, celui d’effectuer un MBA à Harvard. L’expérience est exceptionnelle. « On travaillait sur trois cas d’entreprise par jour qu’il fallait avoir préparés: tous les jours, nous étions donc CEO, directeur financier, directeur marketing, etc. de sociétés très diverses. On a dû traiter quelque 900 cas sur un an! J’ai appris là-bas à exprimer mes opinions et à les défendre à un niveau stratégique, dans des environnements relationnels complexes. Parmi les professeurs, j’ai en outre eu la chance de compter le célèbre Michael Porter ou encore le Prix Nobel d’Economie Robert Merton, puis d’effectuer un stage chez Merrill Lynch dans le domaine des fusions et acquisitions. »

Au retour des Etats-Unis, les offres ne manquent pas, toutes plus alléchantes les unes que les autres. Chris Vandervinne n’en fait pas moins le choix du cœur: un retour à la Sabena qui se trouve dans une situation très compliquée. « J’ai pris le risque de revenir car le défi industriel et stratégique était passionnant », justifie-t-il. Mais on connaît la suite. Rob Kuijpers le sollicite alors pour faire partie de l’équipe chargée de préparer ce qui allait devenir SN Brussels Airlines, à partir de la DAT, à l’époque filiale de la défunte Sabena. Entre novembre 2001 et fin janvier 2002, c’est un travail de titan qui va être abattu pour lancer cette nouvelle compagnie aérienne dotée d’une flotte de 32 avions et employant 150 pilotes, 300 hôtesses et quelque 150 opérateurs de maintenance.

Créer la crédibilité

« Tout était à construire sur base d’un business plan devant justifier, dans des temps troublés, la relance d’une compagnie aérienne », précise-t-il. Son rôle? Contribuer à la constitution de ce plan d’affaires visant à élaborer une stratégie à coûts plus bas et négocier avec les divers consortiums bancaires des conditions de leasing des avions plus avantageuses. La mission est menée à bien: « Le coût de leasing a pu être réduit de 180.000 à 100.000 euros par mois, conditions qui bénéficient encore aujourd’hui à Brussels Airlines: la compagnie a ainsi pu disposer d’une flotte à un coût de 30% inférieur aux conditions du marché. Un chantier énorme quand on sait que le leasing d’un seul avion correspond à dix fardes de documents juridiques! »
En tant que filiale, la DAT n’avait aucune division administrative ou commerciale. Chris Vandervinne doit donc recruter et structurer l’équipe de Corporate Finance, tout en œuvrant à lui créer une certaine crédibilité auprès des banques. « Aucune institution ne voulait travailler avec nous, pas même pour ouvrir un simple compte bancaire, se souvient-il. C’est dire qu’ouvrir un cash pooling ou obtenir une couverture de risques représentaient de très sérieux défis! En communiquant de façon très transparente sur les résultats de l’entreprise chaque trimestre et en montrant qu’ils étaient en ligne avec les objectifs, voire même en avance, nous avons pu regagner leur confiance. »

Dans la foulée, Chris Vandervinne devient numéro 2 de la finance chez SN Brussels Airlines, contribue à la relance des activités vers l’Afrique et participe au rachat de Virgin Express – avec, à la clé, un solide dossier à constituer pour satisfaire à toutes les obligations en matière de concurrence. Avec un tel palmarès, l’homme attire bien des regards. Et l’offre que lui fait le groupe Owens Corning a tout pour le séduire: prendre la direction financière pour l’Europe au sein du quartier général européen qui venait d’être créé. Là encore, il lui faut construire l’équipe, puis œuvrer à la centralisation de la comptabilité et du contrôle de gestion qui étaient réalisés au sein des différentes usines.

Entrée spectaculaire

« La culture de la performance y était forte: le CEO et les patrons de division avaient tous été directeurs financiers ou contrôleurs de gestion, indique-t-il. J’y ai appris le management à l’américaine, tout en me détachant d’activités financières très techniques pour développer une vue plus large à la fois sur la gestion de la production et sur des aspects commerciaux. Un autre gros apprentissage s’est porté sur la gestion du contrôle interne à travers les normes Sarbanes-Oxley que nous avons implémentées en Europe. Par ailleurs, cette période a également été marquée par l’acquisition et l’intégration du plus gros concurrent dans le domaine de la fibre de verre, Vetrotex. »
En parallèle, Chris Vandervinne est nommé contrôleur adjoint de la division composite, soit 50 usines réparties dans le monde pour un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros. Une belle façon de valoriser et d’appliquer son MBA dans un rôle global. Puis, début 2009, un bureau de recrutement le contacte pour le poste de directeur financier à la RTBF. « Petit à petit, je me suis pris au jeu, confie-t-il. D’une part, la position d’Owens Corning était de plus en plus mise à mal par la progression réalisée par les producteurs chinois. D’autre part, la RTBF proposait un défi intéressant comme n°1 de la finance dans une industrie où les évolutions technologiques sont importantes, ce qui me ramène à mon background d’ingénieur… »

« A Harvard, j’ai appris à exprimer mes opinions et à les défendre à un niveau stratégique, dans des environnements relationnels complexes. »

L’entrée en matière sera pour le moins spectaculaire! Quelques semaines à peine après son arrivée, la Communauté française, confrontée à des impératifs d’économie, annonce le gel de sa dotation alors que celle-ci devait évoluer à l’image de l’inflation plus 2%. Soit, pour la RTBF, une économie « forcée » de 51 millions d’euros sur trois ans! Résultat: le voilà plongé dans le bain pour réaliser un important plan d’économies à hauteur de 8% des coûts de l’entreprise, tout en ayant à découvrir la maison… et son dialogue social! Le plan tel que déployé comprend quatre axes: une diminution du nombre d’équivalents temps plein de 2.200 à 2.060 personnes, la réduction des frais de programmes et frais généraux, un réaménagement du plan d’investissement et l’augmentation des recettes publicitaires avec l’autorisation de la diffusion de publicité pour les médicaments de comptoir et celle de couper les longs métrages de fiction par des plages de pub.

Garder le cap

Aujourd’hui, ce plan d’économie est totalement respecté et l’entreprise confirme les premiers résultats financiers positifs enregistrés dès 2009. « Après le plan Magellan qui avait déjà vu les effectifs passer de 2.600 à 2200 collaborateurs, cette nouvelle réorganisation a amené la nécessité de modifier nos façons de travailler, y compris au sein des services administratifs et financiers, souligne Chris Vandervinne. Toute une série de projets visant à la centralisation, la simplification et l’automatisation ont été lancés dans l’optique de créer un centre interne de services partagés, alors que la comptabilité était auparavant décentralisée au niveau des directions de la télévision et de la radio, par exemple. »
Autre point d’attention: le renforcement du contrôle interne, avec la mise en place d’un audit interne et la réalisation d’un inventaire des procédures existantes sur base desquelles bâtir le nouveau plan. Le contrôle de gestion fait par ailleurs l’objet d’une professionnalisation. « Par le passé, la RTBF travaillait avec un budget voté par le conseil d’administration, puis une seconde colonne intitulée ‘budget modifié’ venait se rajouter avec des aménagements qui ne permettaient pas les analyses d’écarts. J’ai donc imposé d’avoir un budget fixé par année avec des analyses d’écarts approfondies en cours d’année. »
Un gros travail a été réalisé pour constituer un tableau de bord, reprenant des indicateurs non seulement financiers mais aussi relatifs aux audiences, au suivi des effectifs, etc. « Ce tableau de bord est aujourd’hui décliné un niveau plus bas, celui de la direction de la télévision, dit-il. Nous avons opté pour la simplicité: je suis satisfait des résultats auxquels nous arrivons en utilisant simplement Excel, plutôt qu’un outil bien plus coûteux qui aurait exigé 24 mois d’implémentation! » Un bon sens qu’il veille aussi à faire passer dans les cours qu’il dispense à l’ULB aux étudiants de Solvay et de Polytechnique…
Chris Vandervinne s’implique par ailleurs comme représentant de la RTBF dans les filiales de production telles que DreamWall et KeyWall dont il a participé au lancement. « La RTBF souhaitait se doter de structures de pointe en matière de technologie virtuelle et elle aurait pu investir des montants importants, tout en n’ayant besoin de ces studios qu’un certain nombre de jours par an, conclut-il. Nous avons plutôt fait le choix d’un autre dispositif plus créatif en recherchant des partenaires privés. Aujourd’hui, ces sociétés se développent très bien et sont utilisées par d’autres entreprises quand la RTBF n’y est pas active, le tout avec une prise de participation minimum de notre part. Ce qui permet de garder le cap en termes d’économies tout en pouvant utiliser des technologies de pointe et d’augmenter notre productivité. »

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