« Pour être crédible et respecté, le financier doit sortir de son scope »

Vincent Vanderborght (Pfizer Animal Health)

En 2011, le groupe Pfizer annonçait son intention de se séparer à terme de ses activités liées à la santé animale et à la nutrition infantile. C’est dans ce contexte que Vincent Vanderborght a repris la fonction de directeur financier pour la partie manufacturing au sein de la division Animal Health, en janvier dernier. « Nous vivons une période empreinte d’incertitudes, mais c’est une opportunité unique de participer à un processus qu’on ne vit probablement qu’une fois dans sa carrière et qui enrichit encore le rôle de directeur financier », dit-il. Portrait.

Depuis janvier 2012, Vincent Vanderborght exerce la fonction de directeur financier pour la partie manufacturing de la business unit Animal Health, la division des médicaments et vaccins à usage vétérinaire. Ses 24 usines, réparties dans neuf pays sur quatre continents, supportent, en compagnie des sites dits mixtes et des sous-traitants, des ventes totales de plus de 4 milliards de dollars. A 36 ans, il se retrouve ainsi à la tête d’un département financier de quelque 40 personnes, à gérer en grande partie à distance. Cette prise de fonction intervient en outre à un moment stratégique, Pfizer ayant annoncé l’an passé son intention de revoir en profondeur son portefeuille d’activités.
La structure du groupe Pfizer est relativement complexe et diversifiée. Pour faire simple, on la résumera en différents pôles: les médicaments et vaccins à usage humain (en distinguant encore ceux ne bénéficiant pas ou plus de la protection d’un brevet et ceux pour lesquels une prescription n’est pas requise), les produits alimentaires pour nourrissons et pour enfants (Nutrition) et les médicaments et vaccins à usage vétérinaire (Animal Health). A l’heure actuelle, une analyse approfondie est menée afin de se départir à terme des divisions liées à la santé animale et à la nutrition infantile, de telle sorte de permettre au groupe de se concentrer sur un nombre plus réduit d’activités et d’optimiser la génération de valeur à destination des actionnaires du groupe.

Chantier unique

« Différents scénarios sont envisagés, allant de la vente pure et simple de l’activité à un autre acteur du marché jusqu’à la création d’une spin-off pour la placer dans une position de ‘stand alone’, indique Vincent Vanderborght. Quelle que soit l’issue de cette réflexion, notre avenir sera de toute façon très différent de ce que nous vivons aujourd’hui mais, à ce stade, on ne sait pas encore quel avenir ce sera. L’incertitude n’est évidemment pas facile à gérer. Il faut veiller, et encore plus que d’ordinaire, à communiquer, à partager l’information autant que possible. Mais la période est aussi enthousiasmante car la finance participe très étroitement à toutes ces analyses qui ne concernent pas seulement la production, mais aussi le commercial et le marketing ou encore la R&D. »
S’il se félicite aujourd’hui de voir le champ de ses responsabilités toucher à des dimensions stratégiques en complément à une gestion financière traditionnelle, Vincent Vanderborght ne se prédestinait pas particulièrement à ce rôle. « J’ai toujours eu une affinité pour les branches scientifiques, mais sans vouloir évoluer dans l’ingénierie pure », raconte-t-il. Ce sont les six mois qu’il passe à la Kelley School of Business de l’Université de l’Indiana, où il a l’occasion de suivre un programme MBA, qui vont vraiment révéler son intérêt pour la gestion et pour le monde de l’entreprise.
Une expérience formidable et très formatrice, souligne-t-il. « J’y ai côtoyé des personnes déjà expérimentées, dans le cadre d’une approche pédagogique très différente avec des études de cas, des partages d’expériences, du travail de groupe. Alors qu’au préalable, je me voyais bien évoluer dans une filière soit internationale, soit théorique, par exemple au sein des institutions européennes ou dans le monde académique, il était devenu clair pour moi qu’il me fallait du concret, évoluer dans un contexte business, dégager des solutions pragmatiques aux problématiques qui se posaient. Mon mémoire de fin d’études, défendu dans la foulée en collaboration avec Electrabel, m’a aussi permis d’apporter une petite pierre à l’édifice d’un projet d’entreprise bien concret, à savoir l’étude de rentabilité relative à l’implémentation d’un parc d’une dizaine d’éoliennes dans les cantons de l’est… A une époque où les initiatives de ce type en étaient encore à leurs balbutiements dans notre pays. »

Capacité d’adaptation

Le diplôme d’ingénieur commercial en poche, il fait son entrée sur le marché de l’emploi en plein boom de l’informatique, alors que les start-up éclosent à tous vents. Les débouchés ne manquent donc pas. C’est sur BSB que se porte son choix: un éditeur de logiciels financiers et prestataire de services IT basé à Louvain-la-Neuve. « Ce secteur m’intéressait d’autant plus qu’avec un ami, nous avions développé pendant nos études un petit logiciel destiné aux médecins et pharmaciens pour les aider à organiser leurs services de garde. Cette expérience nous a, par exemple, amenés à pousser des portes, à défendre notre projet, à sous-traiter la programmation, à gérer un budget et à peaufiner le produit en fonction des besoins et attentes du client. »
Conscients des ressources nécessaires pour donner la pleine mesure à cette activité naissante, les deux amis ne se laissent pas endormir par les oracles de la nouvelle économie et préfèrent en revendre les droits à une société pharmaceutique. Chez BSB, Vincent Vanderborght fait alors ses premières armes sur des missions de consultance variées, allant de l’implémentation de systèmes financiers jusqu’au développement d’applications, en passant par l’analyse de flux et de processus ou encore la formation des utilisateurs.

« Saisir ce qui se trouve derrière les chiffres exige d’y investir du temps, mais c’est un facteur critique de succès. »

« La demande sur le marché était à ce point importante que les jeunes recrues étaient très vite confrontées aux clients, ce qui a l’avantage de développer votre capacité d’adaptation et d’analyse de la valeur ajoutée que vous pouvez apporter, commente-t-il. Mais c’est aussi plus inconfortable car, à la différence de plus grosses structures, votre entrée en matière est moins progressive et moins encadrée. Vous vous retrouvez ainsi rapidement en contact direct avec les décideurs et avec des profils seniors dont il faut apprendre à gérer les contraintes et, surtout, le souci prononcé d’assurer un retour sur investissement rapide. J’ai énormément appris en très peu de temps… »
En deux ans à peine, il a en effet l’occasion de participer à une série de missions à caractères très différents, la dernière en tant que responsable de projet auprès de la Compagnie du Bois Sauvage. « Cette entreprise disposait à l’époque de plusieurs petits systèmes informatiques qui coexistaient, illustre-t-il. Nous avons mené une réflexion approfondie en vue de passer à un système plus intégré, sur base de différents scénarios budgétisés dans le but d’aider cette entreprise à prendre l’option stratégique la plus en ligne avec la vision du management, et de l’accompagner ensuite au niveau de l’implémentation proprement dite. »

Construire ensemble

Entre-temps, Vincent Vanderborght a accepté l’offre de la division « glass » du groupe Saint-Gobain pour rejoindre la structure chapeautant l’usine d’Auvelais, spécialisée dans le verre plat, et le réseau de sites de plus petites tailles chargés de la transformation de ce matériau. Soit un chiffre d’affaires d’une centaine de millions d’euros réalisé sur une dizaine de sites. Après un bref passage par la gestion de projets et le support aux clients, il s’oriente vers un rôle de contrôleur financier. « Le contrôle de gestion m’attirait, tout comme le lien étroit avec l’activité industrielle: on ne peut pleinement exercer la fonction financière dans cet environnement sans bien comprendre les processus business et la technique qui se trouvent derrière les chiffres. »
En parallèle, il reçoit plusieurs projets financiers à mener à bien, dont celui visant à améliorer le besoin en fond de roulement à un moment où le groupe implémente un programme assez ambitieux dans un souci d’optimisation du cash management. « Il existe différents moyens pour aborder ce type de problématique, explique-t-il. Soit vous imposez une méthodologie prédéfinie de façon brutale et unilatérale, en mettant par exemple la pression sur les fournisseurs et sur les clients ou en sabrant aveuglément dans les stocks. Soit vous passez du temps avec vos collègues en usine, vous visitez les clients et vous parlez avec les fournisseurs pour bien cerner les enjeux et la raison des choses, ainsi que les conséquences et risques liés aux différentes options, pour ensuite construire une solution plus adaptée. »
C’est cette deuxième orientation qui fera le succès du projet. « En choisissant une approche basée sur la réalité de terrain, nous avons obtenu d’excellents résultats, parmi les meilleurs de tous les pays européens. On a pu fédérer toutes les parties prenantes autour de la problématique alors qu’a priori, elles n’étaient pas forcément conscientes des bénéfices que la démarche pouvait amener. » Vincent Vanderborght se voit même intégré au groupe de travail européen pour contribuer à la réalisation du projet dans d’autres pays. « J’ai pleinement pris la mesure de l’importance d’être proche des gens et de ne pas fonctionner seul, isolé dans un bureau d’où on ne perçoit la réalité qu’à travers les systèmes. Comprendre ce qui se trouve derrière les chiffres exige d’y consacrer du temps, mais c’est un facteur critique de succès. »

Tout pour plaire

En 2005, son spectre de responsabilités s’étend à la gestion financière de trois de ces usines, à savoir celles situées à Aartselaar, Alken et Braine L’Alleud, soit un effectif d’une quarantaine de personnes, avec une équipe de quatre personnes à gérer, réparties sur les différents sites. Il est alors en charge de la comptabilité générale, des budgets et prévisions, du contrôle et des audits avec la responsabilité complète sur le P&L, en gardant la responsabilité du contrôle financier et de la consolidation sur l’ensemble des dix usines…
C’est dire que Vincent Vanderborght n’est pas, à ce moment-là, en recherche d’un nouveau défi. Mais lorsqu’il tombe sur l’annonce de Pfizer, en quête d’un responsable financier pour son usine de Louvain-la-Neuve, il estime que pareille opportunité mérite qu’on s’y arrête. « J’étais heureux dans mon job, mais je passais trois à quatre heures par jour sur la route pour visiter les filiales, indique-t-il. De plus, ce site qui employait environ 200 personnes à l’époque, spécialisé dans la production de vaccins vétérinaires, avec la technologie de pointe que ce type de produits biologiques suppose, supportant des ventes à hauteur de 150 millions de dollars, avait tout pour me plaire. »
Parmi ses attraits: une activité R&D dans les murs, des exportations vers plus de trente pays dans le monde et un bon positionnement dans le réseau Pfizer. « A titre plus personnel, cette évolution me permettait de m’atteler à des processus plus complexes en termes de contrôle de gestion. Par ailleurs, des projets d’investissements étaient planifiés pour développer de nouveaux produits à haute valeur ajoutée, là où mon précédent employeur était plutôt en phase de contraction. »

Vincent Vanderborght (Pfizer Animal Health)

D’autres compétences

A côté de la gestion financière du site, Vincent Vanderborght plonge directement dans le bain avec l’implémentation d’un nouveau système ERP et le transfert des aspects de comptabilité transactionnelle vers un centre de services partagés européen, basé à Dublin. « Tout n’a pas fonctionné parfaitement du premier coup, mais le nouveau mode d’organisation s’est stabilisé progressivement. Nous avons pu capitaliser sur le fait de ne pas nous situer dans les premières vagues d’implémentation et, donc, tirer les leçons des expériences déjà menées. Par exemple, ne pas se fixer de délais trop agressifs et s’assurer que l’on dispose de ressources extérieures suffisantes pour dégager certains membres de l’équipe du quotidien et leur permettre de réellement s’investir dans le projet et d’y contribuer. »
Si les migrations de tâches vers des « Shared Services » ont parfois mauvaise presse, Vincent Vanderborght préfère mettre en évidence les points positifs. « On peut adhérer au modèle ou non, les services partagés font partie intégrante de la réalité des structures organisationnelles aujourd’hui. Ils ont l’avantage de favoriser une certaine standardisation des processus, le choix de solutions optimales et la mise en place de synergies. Par ailleurs, de tels projets font évoluer le rôle des personnes ainsi que les relations hiérarchiques: il vous faut développer d’autres compétences, que ce soit en termes d’expertise ou en matière de management à distance. »
Entre 2006 et 2008, le groupe Pfizer va investir massivement sur le site, ce qui exige du directeur financier un rôle actif. « Il ne s’agit pas seulement de calculer a priori la rentabilité d’un investissement ou l’économie que représente la modification de lignes de production. Le financier intervient comme acteur à part entière, remet en perspective les conséquences des choix envisagés et essaie d’apporter une vision globale. Il faut mettre à plat tous les scénarios et réconcilier les différents enjeux. Ainsi, un investissement peut améliorer la performance de la production, mais avoir un effet négatif sur le coût du produit, par exemple, et donc sur sa rentabilité. Ce qui est intéressant, c’est d’éclairer la décision finale. »

Bon sens et humilité

Début 2009, le groupe Pfizer procédait au rachat de Wyeth Pharmaceuticals pour quelque $ 68 milliards. Cette dernière disposait d’une importante division produisant des médicaments, vaccins et additifs à usage vétérinaire répartie de par le monde. C’est ainsi qu’il est revenu à Vincent Vanderborght de participer à l’intégration de trois sites – le premier aux Pays-Bas, le deuxième en Sicile et le troisième en Espagne – dans le réseau Pfizer, avec un gros travail à mener dans l’harmonisation des processus, du reporting et de la gestion financière. L’effectif s’étoffe, avec une équipe de 20 personnes à encadrer au niveau de la finance.
Là encore, pour réussir une telle opération, le bon sens et l’humilité représentent de sérieux atouts. « Il ne faut pas arriver avec l’idée préconçue qu’on fait nécessairement mieux que les autres. La tentation de base et la solution de facilité, c’est bien sûr que les équipes des sites repris s’alignent sur les pratiques du groupe qu’ils rejoignent. Mais vous risquez dans ce cas de perdre une source de progrès: nous avons veillé à reprendre certaines bonnes pratiques de ces sites, que ce soit au niveau de la finance ou encore des autres fonctions. Nous avions par exemple une structure assez rigide alors que, chez Wyeth, la finance du manufacturing et la finance du commercial étaient plus intégrées. En matière de mise sur le marché, nous avons également appris les uns des autres, tout en améliorant la qualité et en accélérant les processus. »

Pression constante

En mars 2011, Vincent Vanderborght se voit attacher la zone Asie et Pacifique avec des sites en Chine, en Inde, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Une nouvelle étape en termes de développement: « Découvrir les marchés émergents, d’autres cultures et d’autres modes de gestion se révèle très riche. J’ai dû apprendre à composer avec les fuseaux horaires et à ajuster mon mode de fonctionnement à l’impératif de la distance. J’essaie de visiter chaque site au moins une fois par an de sorte de garder le contact. Quand on passe deux jours avec la personne, les contacts téléphoniques s’en trouvent ensuite facilités. »
Si l’activité est en croissance régulière, notamment grâce aux développements dans les pays émergents et avec le renforcement qu’apportent les acquisitions, les défis ne manquent pas. « Nous subissons une pression constante en raison de la concurrence et du développement des produits génériques. Il faut donc opérer une optimisation toute aussi constante des coûts de production et des marges dégagées. C’est d’autant plus important que la pression sur les coûts est forte dans un domaine où, à l’inverse de ce qui se passe en matière de santé humaine, il n’y a pas d’intervention des gouvernements dans le prix du traitement. Les clients sont donc beaucoup plus sensibles à l’évolution de son rapport coûts/bénéfices. »
Les nouvelles perspectives liées au repositionnement de l’activité Animal Health en dehors du groupe le poussent encore à ajouter de nouvelles cordes à son arc, en ce sens qu’elles viennent renforcer la double perspective: gestion fonctionnelle et dimension stratégique. « Tous les changements que nous préparons amènent chaque membre de l’équipe de direction à sortir de sa spécialité. Il faut être très professionnel dans son domaine d’expertise, mais aussi pouvoir se comporter en leader capable d’émettre des avis et d’apporter une valeur ajoutée dans les autres domaines, dans le cadre d’un débat ouvert. Il s’agit d’une belle opportunité de sortir de son ‘scope’ habituel. Les questions et les suggestions inutiles, ce seront celles qu’on n’aura pas émises! »

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