« Quelle stratégie actionnariale pour l’Etat Belge? »

Les nominations controversées des administrateurs du public et les rémunérations des grands pontes du secteur qui font les gros titres, suscitent de plus en plus la curiosité et la perplexité des citoyens, en particulier à l’heure du lancement en bourse de bpost. Guberna, l’Institut belge des administrateurs, déplore un manque de transparence dans les participations publiques et un défaut de procédures de sélection communes, ainsi qu’une mainmise du politique à tous les étages.

Forcé à intervenir davantage dans l’économie depuis la crise, l’Etat belge a rapidement été amené à prendre de nouvelles participations dans le secteur financier. Souvent décidées à la va-vite, elles ont mis en lumière un manque de vision à long terme. Ces sujets brulants remettent aussi en évidence l’importance du rôle de l’Etat en tant qu’actionnaire.
« Suite à la saga des nominations publiques, c’est toute la société qui est intéressée par ces thématiques. Il est plus qu’urgent que l’Etat belge entame une stratégie globale en matière de gouvernance publique », introduit le Professeur Lutgart Van den Berghe, Executive Director de Guberna.
Alors que les entreprises semblent avoir bien compris l’intérêt d’une gouvernance solide, le secteur public reste à la traine et n’applique pas toujours les principes qu’il impose aux acteurs privés. Face à un tel constat, Guberna, par l’intermédiaire de son Centre Public Governance créé en 2006, a mené une vaste réflexion sur les contours de la mission de l’Etat en tant qu’actionnaire. Partant des lignes directrices définies par l’OCDE en 2005, le centre a analysé la situation dans une douzaine de pays dont la Suède, la Finlande et la France, pour tenter de dégager des best practices qui pourraient servir d’inspirations en Belgique. « L’idée n’est bien sûr pas de faire du copier-coller de ce qui se fait ailleurs, mais de voir ce qui fonctionne bien à l’étranger et qui pourrait être adapté au modèle belge », précise Renaud Van Goethem, chercheur chez Guberna. Plusieurs scénarios s’offrent à la Belgique.

Organiser les participations

Pour l’OCDE, l’organisation de la fonction actionnariale au sein de l’administration est une condition indispensable pour obtenir une gouvernance de qualité. « Il ressort de nos recherches que l’organisation des participations de l’Etat belge semble être davantage la conséquence d’évolutions historiques que basée sur des critères objectifs. Le système actuel d’organisation des participations étatiques manque de cohérence », constate Lutgart Van den Berghe.
Difficile, en effet, de s’y retrouver dans les organisations 100% publiques, les parastataux comme l’Onem, ou les sociétés à vocation commerciale à l’image de Belgacom. La division des responsabilités entre le Ministre en charge des Entreprises publiques (la SNCB, Infrabel, bpost ou Belgacom), le Ministre des Finances (SFPI, holdings, ou missions déléguées )et les Ministres sectoriels (CTB, Belgocontrol) n’est pas fondée sur des critères pertinents comme c’est le cas dans d’autres pays européens.
A l’étranger, plusieurs modèles d’organisation coexistent avec pour but d’améliorer le rendement du service public. Certains pays, comme la France et son APE, ont choisi la voie de la centralisation prônée par l’OCDE. « Centraliser l’ensemble des participations publiques au sein d’une seule agence peut permettre d’éviter les conflits d’intérêts, de renforcer les conseils d’administration en évitant les pressions politiques, d’améliorer la transparence, puisqu’un seul rapport commun sort chaque année, et engendre une seule stratégie globale, tout en permettant un regroupement d’expertise et de nombreuses économies d’échelle », poursuit Renaud Van Goethem.

Bien choisir ses administrateurs

L’interminable feuilleton des nominations des administrateurs publics illustre bien ce manque de processus de recrutement transparent, clair et structuré en Belgique. Si la méthode belge semble se fonder sur l’opacité et la prépondérance de l’interventionnisme, d’autres contextes nationaux prouvent que la mise en place d’un processus de sélection formel ne peut qu’améliorer la gouvernance des organisations publiques. Une fois de plus, les formules varient selon les pays. L’OCDE propose plusieurs pistes à creuser: identifier clairement l’organe responsable du recrutement, indiquer les classifications requises pour chaque poste au préalable, adopter une démarche uniforme pour l’ensemble des institutions publiques, soit autant de propositions qui font défaut en Belgique. Le recrutement des élites publiques y est peu professionnel.
« La dimension politique est omniprésente dans le processus de sélection à l’œuvre chez nous. C’est une sorte de black box aux yeux du grand public. La situation est, cela dit, différente selon les organisations. Certaines ont développés des initiatives qui mériteraient d’être généralisées », affirme Renaud Van Goethem.

Limiter l’interférence politique

Œuvrer à améliorer la gouvernance publique n’a pas toujours été une priorité belge. « Il est vrai que la Belgique a accumulé un certain retard dans ce domaine, sans doute qu’il y avait des problèmes plus urgents. En 1991, quand la loi sur les entités publiques a été promulguée, les administrations publiques étaient alors beaucoup plus homogènes. La situation a énormément changé en vingt ans, sans qu’on réajuste le tir », soutient Lutgart Van den Berghe.
Pour limiter les jeux de pouvoir, certains pays choisissent de recourir à des chasseurs de tête indépendants pour objectiver le recrutement. D’autres constituent des pools de talents partagés. Au Danemark, le président du conseil d’administration joue un rôle central dans le choix des autres administrateurs. En Finlande, les qualités requises pour un poste sont annoncées publiquement. Au Royaume-Uni, un modèle a été formalisé étape par étape pour garantir une sélection basée sur le mérite.
« Ces challenges ne sont pas uniquement l’apanage du secteur public belge. De nombreux pays y sont confrontés, mais la Belgique semble être un des seuls pays à ne pas entamer une réflexion profonde sur ces thématiques. Dans un contexte économique défavorable, une meilleure gouvernance des participations étatiques ne peut qu’accroitre le rendement de celles-ci. Bien sûr, il n’y a pas qu’une seule voie possible. Le type de gouvernance à appliquer doit être différent selon la typologie de société et le type de comportement des gens qui y travaillent, il ne faut pas tout mélanger. Les enjeux de Belgacom, par exemple, qui est soumise à la concurrence, sont très différents de ceux d’Infrabel, en situation de monopole. Une chose est certaine, il ne faut pas seulement coucher des grands principes sur papier, il faut les suivre dans la pratique », achève Lutgart Van den Berghe.