Distributions post-acquisition: à manipuler avec précaution

Suite à une acquisition, il est fréquent que la société reprise procède à une distribution de fonds propres. Celle-ci peut être inspirée par des raisons financières (e.g. utilisation des liquidités disponibles au niveau de la cible pour rembourser une partie de la dette d’acquisition) ou fiscales (e.g. technique dite d’equity stripping permettant de pousser de la dette au niveau de la société filiale afin de générer des charges d’intérêt fiscalement déductibles). Ces distributions ne sont pas exemptes de risques fiscaux.

Identification des composantes du capital social

Conformément aux dispositions du code des sociétés, une société a la possibilité d’incorporer certains éléments dans son capital social. Sur le plan fiscal, il peut s’agir de réserves taxées ou exonérées. Sachant qu’une réduction de capital peut être effectuée en exemption d’impôt, il est requis, pour que cette exemption s’applique, que la réduction porte sur du capital dit « fiscal », à savoir du capital social qui résulte d’apports (et non de l’incorporation de réserves). A défaut, il pourrait être tentant d’incorporer au capital, en vue de leur distribution ultérieure en exemption d’impôt, certaines réserves de la société.

  • Il est par conséquent recommandé, lors de la reprise, de s’assurer de la composition fiscale du capital social de la société cible. Il s’agit d’une vérification qui est typiquement effectuée dans le cadre du due diligence fiscal, et qui, en cas de doute, doit le cas échéant faire l’objet de dispositions appropriées dans le contrat de cession d’actions.
  • Lorsque les composantes fiscales du capital social ont été déterminées, il conviendra, en cas de réduction de capital, de s’assurer que celle-ci est, si nécessaire, exclusivement imputée sur du capital fiscal, ce qui se fait via une mention spécifique dans l’acte notarié. A défaut, la réduction de capital est censée provenir de manière proportionnelle de chacune des composantes du capital social ; dans un tel cas:
  • La réduction de capital imputée sur des réserves exonérées incorporées au capital donnera lieu à l’inclusion, dans la base imposable de la société filiale, d’un montant équivalent. En outre, le précompte mobilier sera dû, sauf si une exemption peut être invoquée;
  • La réduction de capital imputée sur des réserves taxées incorporées au capital donnera lieu à l’application du précompte mobilier, à moins qu’une exemption ne soit possible.

Réduction de capital excédentaire

Dans certains cas, il est possible que la valeur d’acquisition de la société soit inférieure au montant de son capital fiscal. Dans un tel cas, se pose la question du traitement d’une réduction de capital dont le montant excéderait la valeur de la société filiale dans les comptes de l’actionnaire société belge.
A ce sujet, l’administration fiscale belge considère que le montant excédentaire ne peut ni bénéficier de l’exemption à 100% prévue en cas de réduction de capital portant sur du capital fiscal, ni de l’exemption à 95% pour les dividendes autrement applicable en vertu du régime des revenus définitivement taxés. En d’autres termes, elle considère que le montant en question est un bénéfice pleinement taxable.
Cette position, hautement critiquable tant sur le plan technique que sur le plan du principe, peut être illustrée comme suit: en supposant une valeur d’acquisition de 80 et une réduction de capital de 100, le traitement fiscal sera le suivant:
Un montant de 80 pourra bénéficier d’une exemption totale (pour autant qu’il s’agisse de capital fiscal);
Un montant de 20 sera inclus dans la base imposable de la société, et sera en tant que tel pleinement taxable.

« Acquired dividend »

En cas de distribution de dividende ayant lieu peu de temps après l’acquisition (« acquired dividend »), se pose la question du traitement comptable et fiscal d’une telle distribution. Sans rentrer dans les détails, une telle distribution sera généralement comptabilisée par le débit d’un compte d’actif, et par le crédit du compte dans lequel la participation a été enregistrée. En d’autres termes, il s’agit généralement d’une opération purement bilantaire, sans impact sur le compte de résultats.
Sur cette base, et compte du principe de primauté du droit comptable sur le droit fiscal, certains ont défendu que, à défaut de produit comptable, il ne saurait y avoir de produit (lire: dividende) fiscal, et que par conséquent une telle distribution doit être pleinement exemptée au niveau de l’actionnaire société belge. Comme l’a rappelé la jurisprudence, c’était toutefois sans compter avec le fait que la primauté du droit comptable sur le droit fiscal ne joue qu’en l’absence de dérogation explicite du droit fiscal.
En l’occurrence, la définition fiscale de dividende constitue une telle dérogation, et permet de considérer qu’il y a dividende au sens fiscal nonobstant l’absence de dividende comptable, de sorte que le montant en question ne peut pas bénéficier d’une exemption à 100%, mais peut par contre éventuellement être exonéré à 95% si les conditions pour ce faire sont remplies.

Retenue temporaire sur dividende

En vertu de la directive européenne dite « mère – fille », les distributions de dividendes au sein de l’Union Européenne (et depuis quelques années de la Belgique vers un actionnaire résident dans un pays ayant un traité préventif de double imposition avec la Belgique) peuvent bénéficier d’une exemption de retenue à la source, pour autant que certaines conditions soient remplies.
Dans le contexte de la transposition, en droit belge, de la directive en question, les conditions suivantes ont été retenues. Tout d’abord, les sociétés impliquées doivent avoir une forme juridique reprise dans l’annexe à la directive en question. Bien que le champ d’application initial de la directive ne couvrait que certaines formes de sociétés belges, celui-ci a été ultérieurement étendu de manière à couvrir toutes les formes de sociétés belges fiscalement non transparentes. Ensuite, les sociétés impliquées doivent être assujetties dans leur pays de résidence à l’impôt des sociétés sans bénéficier d’un régime fiscal exorbitant du droit commun.
Enfin, la société actionnaire doit avoir détenu, ou s’engager à détenir, pendant une période ininterrompue d’au moins 12 moins, une participation d’au moins 10% dans le capital de la société filiale. A ce sujet il convient de noter que cette condition ne doit pas s’apprécier « action par action » ; au contraire, dès que la société actionnaire a détenu au moins 10% durant un an, elle pourra bénéficier d’une exemption de précompte mobilier, même pour des actions cédées moins d’un an après leur acquisition.
S’agissant de cette dernière condition, la législation belge permet (après une intervention de la Cour Européenne de Justice) que l’exemption de précompte mobilier soit appliquée même lorsque la société actionnaire n’a pas encore détenu une participation d’au moins 10% pendant un an, pour autant que cette condition soit remplie a posteriori. Si, par exemple, la participation a été détenue pendant 3 mois au moment de la distribution de dividende, l’exemption de précompte mobilier pourra être obtenue, pour autant que la participation en question soit détenue pendant encore au moins 9 mois.
Dans ce contexte, et afin de préserver les intérêts du Trésor, le prescrit légal prévoit que, si une distribution de dividende a lieu alors que la participation a été détenue depuis moins de 12 mois, la société filiale belge est soumise à une obligation de rétention temporaire d’un montant égal au montant du précompte mobilier qui aurait été dû en l’absence d’exemption. Il est communément admis à ce sujet que, si une réduction de précompte mobilier aurait pu être invoquée sur la base d’une convention préventive de double imposition, l’obligation en question ne porte que sur le montant réduit.
Ceci peut être illustré comme suit: si l’on suppose une distribution brute de 100, en principe soumise à un précompte mobilier de 15% potentiellement réduit à 5% sur la base de la convention préventive de double imposition, la société filiale pourra immédiatement distribuer un montant de 95 à l’actionnaire, et devra retenir un montant de 5. Dès lors, deux alternatives sont possibles:

  • Soit la société actionnaire conserve la participation jusqu’à l’expiration de la période d’un an, et le montant de 5 peut être payé à l’actionnaire en question;
  • Soit la société actionnaire ne conserve pas la participation jusqu’à l’expiration de la période d’un an, et le montant de 5 doit être payé à l’administration fiscale.

Conclusion

Les distributions effectuées après une acquisition, si elles répondent à divers impératifs, peuvent avoir des conséquences fiscales dommageables dont il convient de tenir compte. A défaut, le contribuable peut s’exposer à des implications non désirées pouvant réduire le rendement sur investissement.

Stéphane Jourdain et Geoffroy Galéa (Deloitte)

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