Instruments financiers hybrides: un outil performant de planification fiscale

Le mode de financement utilisé par une société n’est pas indifférent sur le plan fiscal. Il existe classiquement une dichotomie entre le financement par fonds propres ou par emprunt, sachant que la rémunération afférente à une dette (intérêts) est fiscalement déductible, alors que celle des fonds propres (dividendes) ne l’est généralement pas. En Belgique, l’asymétrie a été en partie corrigée par l’introduction des « intérêts notionnels ». Une des alternatives est le recours à des instruments financiers hybrides.

Les fameux « intérêts notionnels » – ou déduction pour capital à risque – sont plafonnés à un taux déterminé sur une base annuelle. Par ailleurs, compte tenu des incertitudes politiques et économiques, leur pérennité n’est pas garantie, loin s’en faut. D’où l’intérêt d’esquisser les implications fiscales relatives aux instruments financiers hybrides.

Distinction fiscale entre fonds propres et fonds de tiers

Il n’existe pas, en droit fiscal, de définition des notions de fonds propres et d’emprunt. Il s’impose donc de se référer aux autres branches du droit, à savoir le droit civil et le droit des sociétés. En effet, il est communément admis que le droit commun prime sur le droit fiscal, sauf disposition fiscale dérogatoire.

Définition du contrat de société

Selon l’article 1er du code des sociétés, « une société est constituée par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect ». Il est traditionnellement admis que la réunion des quatre éléments suivants est nécessaire à l’existence d’un contrat de société:

  • présence d’au moins deux cocontractants;
  • les cocontractants doivent réaliser des apports;
  • les apports sont effectués dans le but de procurer directement ou indirectement un bénéfice aux associés;
  • les associés doivent participer aux bénéfices et aux pertes de la société.

On considère généralement que l’affectio societatis constitue la cinquième composante du contrat de société. Il peut être défini comme l’intention de s’associer et de partager les aléas liés à l’entreprise.

Définition du prêt

Selon l’article 1892 du code civil, « le prêt de consommation est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ».
L’obligation pour l’emprunteur de rembourser le prêt est donc l’une des caractéristiques de ce contrat. Celui-ci peut procéder à un paiement à l’avance mais le prêteur ne saurait exiger un remboursement du prêt avant la date contractuellement fixée.
Il est également admis que les parties ont la liberté de fixer la rémunération du prêt sans que cela rejaillisse sur la nature juridique de ce dernier. Plus précisément, le fait que la rémunération du prêt corresponde à un pourcentage fixe déterminé d’avance ou qu’elle soit liée (partiellement) aux profits réalisés par l’emprunteur est sans importance sur le plan civil.

Principales distinctions entre fonds propres et fonds de tiers

De ce qui précède, il ressort qu’il est possible d’établir une distinction entre, d’une part, le financement au moyen de fonds propres et, d’autre part, celui reposant sur le recours à des fonds de tiers, sur la base des éléments suivants:

  • dans le cas d’un prêt portant intérêt, le prêteur peut réclamer le paiement de l’intérêt alors qu’un actionnaire n’est pas en mesure d’exiger le paiement d’un dividende, la décision de distribuer un tel dividende incombant en effet à l’assemblée générale des actionnaires;
  • une règle similaire s’applique en ce qui concerne le remboursement du capital investi. En général, un contrat de prêt stipule une date de remboursement du capital ou, à défaut, les circonstances dans lesquelles un remboursement devra avoir lieu (e.g. violation de certaines dispositions du contrat). Un actionnaire, en revanche, ne peut obtenir le remboursement du capital apporté à la société sans le consentement de l’assemblée générale des actionnaires;
  • au moment de la liquidation de la société, le prêteur pourra réclamer à la société le remboursement de la totalité des fonds apportés s’il s’agit d’un prêt. Par conséquent, si l’investisseur ne dispose que d’un droit au remboursement de sa mise après paiement de la totalité des créanciers de la société (i.e. remboursement subordonné par rapport aux créanciers), son investissement sera qualifié d’apport et non pas de prêt;
  • le droit belge des sociétés réserve aux actionnaires des droits non pécuniaires, notamment le droit de vote (sous réserve d’éventuelles actions sans droit de vote, participations bénéficiaires, etc.);
    les formalités à accomplir diffèrent selon qu’il s’agit de fonds propres ou d’emprunt (et selon la forme sociétaire en cause) : passage devant notaire, publication au Moniteur belge, etc.

Ces différents critères ne sont toutefois pas décisifs dans le cadre de la qualification à donner aux fonds. De manière générale, on peut affirmer que la principale différence existant entre un apport en capital à une société ou un prêt accordé à celle-ci réside dans le fait que le premier est soumis aux risques de l’entreprise alors que le second ne l’est pas.

Les instruments financiers hybrides

La dichotomie traditionnellement admise en droit belge en ce qui concerne les instruments financiers est celle qui oppose les actions aux obligations. La question de savoir quand un instrument financier particulier appartient à l’une ou l’autre pose le délicat problème de la qualification juridique de cet instrument.
Nous avons vu ci-dessus que cette qualification juridique est à examiner sur la base des caractéristiques intrinsèques de l’instrument proposé. Cela étant, sur le plan international, on peut être confronté à des disparités de qualifications (fiscales) retenues respectivement dans l’Etat de la source du revenu et dans celui de la résidence du bénéficiaire; ces disparités rendent possible l’émergence d’instruments financiers fiscalement hybrides.
La recherche d’une planification fiscale optimale conduit à cet égard à favoriser la qualification fiscale de dette dans l’Etat de la source du revenu et celle de capital dans l’Etat de la résidence du bénéficiaire; les charges de dette sont en effet normalement déductibles fiscalement dans l’Etat de la source alors que les revenus de capitaux font l’objet en principe d’une immunisation (totale ou partielle) ou d’un crédit d’impôt dans l’Etat de la résidence du bénéficiaire.

Cas pratique: le prêt participatif entre la Belgique et le Luxembourg

Un cas classique d’utilisation d’instruments financiers hybrides dans le contexte d’une planification fiscale transfrontalière efficace est l’émission, par une société belge, d’une obligation participative (« profit participating bond » ou « PPB ») souscrite par une ou plusieurs sociétés luxembourgeoises.
En effet, dans un tel cas, la rémunération du PPB (qui est partiellement ou intégralement fonction des résultats de la société belge) est, sur le plan fiscal belge, considérée comme une charge d’intérêt déductible (sous réserve d’application des règles anti-abus en la matière), alors qu’elle est, sur le plan fiscal luxembourgeois, considérée comme un dividende pouvant bénéficier d’une exonération à 100%.
L’utilisation de PPB constitue une option fiscalement alléchante pour les groupes qui dispos(ai)ent d’un centre de coordination utilisé comme véhicule de financement intra-groupe. Elle a à ce titre déjà été implémentée par certains groupes multinationaux, le cas échéant moyennant obtention d’un accord préalable du service des décisions anticipées (« SDA »). Il est intéressant de noter que le SDA n’est disposé à octroyer une décision favorable que si le PPB est utilisé dans le cadre d’uns société de financement, ou en d’autres termes si la contrepartie du PPB, à l’actif du bilan de la société belge, consiste en prêts accordés à d’autres sociétés du groupe. Le SDA n’est par conséquent pas prêt à accepter qu’un PPB soit utilisé pour financer des activités opérationnelles. Nous pouvons comprendre les raisons qui sous-tendent ce choix, mais force est toutefois de constater que, techniquement, il est selon nous possible de mettre en place un PPB pour financer de telles activités opérationnelles avec un niveau de confort suffisant.
En toute hypothèse, il conviendra de prêter une attention toute particulière aux éléments suivants:

  • caractère « at arm’s length » du PPB. La formule utilisée pour déterminer la rémunération du PPB devra faire l’objet d’un étalonnage précis au cas par cas;
  • mesures anti-abus en matière de déduction fiscale de charge d’intérêts, telles que par exemple la règle dite de sous-capitalisation qui prévoit que les intérêts ne sont pas déductibles s’ils se rapportent à des dettes contractées auprès de parties bénéficiant d’un régime fiscal notablement plus avantageux que le droit commun belge pour les revenus d’intérêts, si et dans la mesure où les dettes en question excèdent sept fois les fonds propres de la société. Par prudence, nous suggérons de respecter ce ratio et d’assurer une capitalisation suffisante de la société belge émettrice;
  • possibilité de requalifier le PPB en fonds propres (e.g. parts bénéficiaires). Les caractéristiques de l’instrument devront dès lors être soigneusement adaptées (en tenant compte des contraintes belges et luxembourgeoises) afin d’assurer l’acceptabilité de l’instrument des deux côtés de la frontière.

Conclusion

Comme expliqué, l’utilisation d’instruments financiers hybrides peut s’avérer particulièrement avantageuse pour les groupes qui souhaitent en tirer avantage. On ne perdra toutefois pas de vue qu’une telle structure peut être complexe à mettre en œuvre et n’est, si elle n’est pas couverte par un accord préalable avec les autorités fiscales, pas exempte de risque. Cependant, elle constitue une alternative valable aux intérêts notionnels (et plus généralement à certaines structures étrangères par trop artificielles ou exotiques), et mérite à ce titre d’être prise en considération.

Stéphane Jourdain (Deloitte)

Poster un commentaire

*