La taxe européenne sur les transactions financières: réalité ou fiction?

Fiscalité

La taxe européenne sur les transactions financières représente à n’en point douter un développement majeur en termes de fiscalité supranationale. Le point sur un dossier qui promet pour les acteurs du monde financier au sens large des difficultés, tant d’interprétation technique que d’implémentation opérationnelle.

Avec la déclaration officielle de faillite de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre 2008 a marqué un tournant de notre histoire. A la suite de la découverte de ce que certains ont appelé « le plus grand casse de tous les temps », pas une semaine ne s’est terminée sans que le monde financier ne soit pointé du doigt étant, depuis lors, considéré (à tort ou à raison) comme le « plus petit bouc émissaire commun » par le citoyen lambda. En réponse à cela, le monde politique, tous niveaux de pouvoir confondus, n’a eu de cesse de brandir la menace d’une fiscalité « plus juste » afin de faire payer la crise aux présumés coupables. L’Union Européenne n’est pas épargnée par ce penchant taxateur envers le secteur financier, et ici, la menace s’appelle « la taxe européenne sur les transactions financières » (ci-après « TTF »).

Qu’entendre par « TTF»?

Cette taxation devrait reposer sur les quatre objectifs suivants: assurer une contribution juste et substantielle de la part des acteurs du secteur financier, limiter les risques systémiques ainsi que d’autres comportements indésirables, éviter les distorsions créées par les divers mécanismes de taxation des transactions financières implémentés au niveau national et trouver une source directe de financement pour le budget européen.
Cet impôt devrait être dû par les institutions financières et viser la taxation des transactions financières sur tous types de d’instruments financiers sans être limitée aux transactions se déroulant sur les marchés réglementés.
Par ailleurs, ce prélèvement devrait s’opérer sur une base duale:

  • D’une part, cet impôt devrait se concentrer sur les transactions financières menées par les institutions financières résidentes d’un pays appliquant la taxe (« principe de résidence ») agissant comme parties à ces transactions (pour leur propre compte ou pour compte de tiers) lorsque cette institution ou l’autre partie est « résidente » d’un pays appliquant la taxe. Une institution financière est considérée comme « résidente » lorsqu’elle est établie dans un des Etats participants et qu’elle dispose de l’accréditation nécessaire pour pouvoir mener ses activités financières sur le sol de cet Etat. Pour toute autre personne, il suffit qu’elle ait son siège social, son adresse permanente, sa résidence habituelle ou une branche d’activité procédant à des transactions financières sur le sol de cet Etat;
  • D’autre part, toute transaction impliquant des instruments financiers issus de pays appliquant la taxe sont visés (« principe de l’émetteur »). En d’autres termes, il suffit donc ici que l’émetteur ait son siège social dans un des Etats coopérants.

Cette taxe devrait donc, si elle venait à voir le jour sous son actuelle mouture, jouir d’un champ d’application territorial sans précédent! En outre, un tel système devrait requérir des institutions financières qu’elles s’enquièrent d’informations suffisantes afin d’identifier correctement les transactions auxquelles elles prennent part.

« Institutions financières »?

La notion d’« institutions financières » telle qu’utilisée dans le contexte de cet impôt reçoit une acceptation fortement étendue. En effet, cette dernière comprend les établissements de crédit, les sociétés d’investissements, les sociétés d’assurance et de réassurance, les sociétés de leasing financier, les fonds de pension, les sociétés holdings, ou encore toute personne s’adonnant à certaines activités financières d’ampleur significative par rapport à leur activité globale (lorsque plus de 50% de leur chiffre d’affaires moyen annuel est constitué par des transactions financières) .

« Transactions financières »?

Comme précisé ci-dessus, cette taxe devrait viser toutes les transactions financières sur tous types d’instruments financiers sans être limitée aux transactions se déroulant sur les marchés réglementés.
Elle devrait porter aussi bien sur la vente, l’achat, le transfert et l’échange d’instruments financiers. La taxe devrait aussi bien couvrir les actions, les obligations et les produits dérivés que les instruments financiers tels que les parts de fonds communs de placement. Les transactions sur le marché primaire ne devraient pas être visées par la taxe. Il devrait en aller de même pour celles auxquelles prennent part la Banque Centrale Européenne, les banques centrales nationales et certaines organisations internationales ou européennes, ainsi que pour certaines restructurations.
La base imposable de cet impôt devrait être formée par tout montant considéré payé ou dû en contrepartie du transfert d’un des instruments susvisés. Cette dernière devrait être soumise à un taux d’imposition minimum de 0,1% pour les activités de trading de transactions financières et de 0,01 sur les produits dérivés. Cependant, les Etats participants devraient être libres de pouvoir appliquer des taux de taxation plus élevés. Pour les transactions électroniques, ce prélèvement devrait être opéré simultanément à la transaction, et dans les autres cas, endéans les trois jours ouvrables postérieurs à la transaction.

Quel impact en Belgique?

La Belgique applique déjà une taxation similaire dans son droit interne par l’intermédiaire de la taxe sur les opérations boursières (généralement appelée « TOB »). A ce titre, le lecteur pourrait dès lors craindre un risque de double taxation évident. Cependant, ce risque doit être atténué sans détours. Rappelons avant toute chose qu’une telle situation de double taxation viendrait se télescoper à l’un des principes sous-tendant l’introduction de la taxe européenne (évitement des distorsions).
Le respect de ce principe se matérialise dans l’article 12 de la proposition pour l’instauration de la taxe européenne qui dispose que les Etats Membres devront se garder d’introduire ou de maintenir une taxe sur les transactions financières. Cette approche est en outre confirmée dans une Foire Aux Questions dédiée à cette matière et datant du 28 septembre 2011,.
Par conséquent, si la TTF venait à voir le jour, la Belgique devrait modifier sa législation fiscale afin de supprimer l’application de sa taxe boursière.

Où en est-on?

Evoquer le processus décisionnel au sein de l’Union Européenne revient à évoquer de nombreuses heures de négociation entre 27 Etats Membres désireux de laisser leur emprunte dans le dispositif législatif final. En matière fiscale, ceci est d’autant plus prononcé du fait que la règle est la prise de décision à l’unanimité.
Prenant appui sur un premier projet émis en septembre 2011, le Conseil Ecofin du 9 octobre 2012 a abouti à l’annonce effectuée par onze Etats Membres (Belgique, Allemagne, Estonie, Grèce, Espagne, France, Italie, Autriche, Portugal, Slovénie et Slovaquie ) de leur volonté de mettre en place la TTF, et ce, par la voie de la mécanique législative de la coopération renforcée. Faute d’unanimité, cette procédure permet à une minorité d’Etats Membres d’adopter un projet de législation européenne. A ce titre, conformément à cette procédure particulière, la Commission Européenne a présenté le 23 octobre dernier un projet d’autorisation de la coopération renforcée pour approbation à la majorité qualifiée des 27 Etats Membres au sein du Conseil. En sus de cette majorité qualifiée, le Parlement Européen doit également donner son consentement à cette décision. Une fois les approbations retenues, la proposition devrait être formellement dévoilée par la Commission Européenne avant d’être soumise à l’approbation unanime des pays participants requise pour l’exécution de la coopération renforcée.

« Un tel système devrait requérir des institutions financières qu’elles s’enquièrent d’informations suffisantes afin d’identifier correctement les transactions auxquelles elles prennent part. »

En outre, le Conseil ECOFIN du 13 novembre 2012 a également laissé transparaitre que le groupe « des onze » pourrait encore s’agrandir puisque l’Etat des Pays-Bas y a fait part de son intention de rejoindre le groupe des Etats coopérant sous certaines conditions (dont l’exemption des fonds de pension et le refus du versement de la taxe au budget européen). Encore aujourd’hui, faute d’accord, cette offre conditionnelle de participation à la taxe ne s’est pas encore concrétisée. Concernant les Etats Membres s’opposant à la taxe européenne, ceux-ci y ont fait part de leur souhait d’obtenir une évaluation détaillée de l’impact de cet impôt avant de donner leur feu vert à cette coopération renforcée. En d’autres termes, ces derniers Etats ne comptent pas faciliter la tâche à leurs homologues en faveur de la taxe.
A la suite de l’adoption par le Conseil d’une décision autorisant les onze Etats à mettre en place la taxe (Conseil Ecofin  du 9 octobre 2012 précité), la Commission Européenne a adopté le 14 février 2013 une proposition de directive contenant les détails de la TTF. Cette proposition confirme le champ d’application et les objectifs de la taxe tels que définis dans les travaux préalables (voir supra). Nous ne retrouvons dans cette proposition que des changements mineurs par rapport à ce qui avait été préalablement prévu, et ce dans l’unique but de la rendre compatible avec le fait que celle-ci ne devrait s’appliquer qu’à certains Etats Membres de l’Union Européenne. Par ailleurs, cette proposition de directive contient également une disposition générale anti-abus visant à rendre inopposable une opération artificielle visant à éviter la taxe.
Durant les prochaines semaines, la proposition de directive sera discutée par les Etats Membres en vue de son implémentation dans le cadre de la coopération renforcée et de parvenir à un vote unanime. Chaque Etat Membre peut participer à ces débats, qu’il fasse partie des 11 Etats coopérants ou non, mais seuls ces derniers disposeront en définitive du droit de vote.

Qu’en conclure?

La TTF représente à n’en point douter un développement majeur en termes de fiscalité supranationale. Elle promet pour les acteurs du monde financier au sens large des difficultés, tant d’interprétation technique que d’implémentation opérationnelle.
En ce sens, elle vient se rajouter à d’autres développements (FATCA, modification du régime du précompte mobilier, amendements à la taxe belge sur l’épargne,…) dans un paysage de taxe opérationnelle en perpétuelle mouvance.
Nous ne pouvons qu’exhorter les institutions financières à procéder sans délai à un « impact assessment » en vue d’identifier les implications chiffrées de la TTF. Sur base de ces résultats, lesdites institutions financières pourraient être amenées à revoir leur business model (e.g. création de filiales dédiées hors zone FTT) et devront en toute hypothèse adapter leurs systèmes pour permettre le « reporting », le prélèvement et le paiement de la TTF. Bref, il y a du pain sur la planche…

Geoffroy Galéa et Stéphane Jourdain (Deloitte Tax Belgium)