Les nouvelles mesures fiscales: seconde vague!

Il y a peu, nous évoquions les nouvelles mesures fiscales qui se profilaient à l’horizon. Depuis lors, au rythme du processus législatif, nous avons obtenu d’importantes précisions sur la fiscalité de demain. Ce second volet de notre analyse des mesures à venir vise à informer le lecteur sur l’évolution des principales règles concernant l’impôt des sociétés en Belgique.

Règle de sous-capitalisation: ratio moins superficiel

Contenue dans l’article 198,11° du CIR, l’actuelle règle de sous capitalisation fait l’objet d’une refonte substantielle. Alors que l’actuel ratio d’endettement (fonds propres/dettes) est de 7/1, les entreprises devront, au plus tard le 1er juillet 2012, se conformer à un nouveau ratio de 5/1. Dans le cas contraire, les intérêts (dans la mesure du dépassement dudit ratio) ne pourront être déduits au titre de frais professionnels.
Le terme « dettes » de ce ratio reçoit une nouvelle acception. En effet, il devrait comprendre d’une part, tous les prêts intra-groupe (le groupe étant défini en référence à la notion de société liée contenue à l’article 11 du Code des Sociétés) et d’autre part, tous les prêts dont le bénéficiaire effectif d’intérêts n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu ou est soumis (à l’égard des revenus d’intérêt) à un régime fiscal nettement plus avantageux que le régime fiscal commun belge (comme précédemment). 
Comme c’est déjà le cas actuellement, les obligations et autres titres de créance émis par appel public à l’épargne ne sont pas pris en compte.
Dorénavant, la mesure ne s’appliquera plus aux emprunts accordés par des établissements financiers visés à l’article 56, §2, 2° CIR. La nouvelle disposition ne sera pas plus applicable aux emprunts contractés par les entreprises actives dans le leasing mobilier ainsi que les entreprises dont l’activité principale consiste en factoring ou leasing immobilier, à condition que ces entreprises appartiennent au secteur financier et dans la mesure où les sommes empruntées sont effectivement utilisés pour les activités de leasing et de factoring. Selon l’exposé des motifs, il faut entendre par « secteur financier » les sociétés qui sont soumises en permanence au contrôle prudentiel de la Banque Nationale de Belgique et de l’Autorité des Services et Marchés Financiers. En outre, ne sont pas non plus être concernées, les entreprises dont l’activité principale consiste en la réalisation d’un projet de partenariat public-privé, attribué suite à une mise en concurrence conformément à la législation en matière de marchés publics. 
Par « fonds propres », on entend (à l’instar de la définition actuelle) la somme des réserves taxées au début de la période imposable et le capital libéré à la fin de la période imposable.
Une mesure anti-abus est prévue de sorte que les prêts garantis ou financés par une tierce partie (partie supportant la totalité des risques de l’emprunt) seront considérés comme accordés par cette tierce partie (cf. mesure anti-channelling en matière de QFIE) si cette garantie/financement est inspiré par un souci d’évasion fiscale.

Disposition anti-abus: futur bazooka?

La disposition générale anti-abus (article 344, §1 du Code des impôts sur les revenus ; article 106, 2e alinéa du Code des droits de succession; article 18, §2 du Code des droits d’enregistrement) est réécrite. Le but principal de cette modification est de permettre à l’administration fiscale de ne plus devoir démontrer que la qualification de l’acte juridique exécuté par le contribuable a des effets identiques ou a, à tout le moins, des conséquences juridiques analogues à l’acte juridique réalisé par le contribuable. Ceci représente le principal obstacle contemporain à la mise en œuvre du dispositif général anti-abus. A la suite d’un avis rendu par la section législation du Conseil d’Etat, le texte initial de la disposition anti-abus contenu dans l’avant projet de loi a été substantiellement modifié. 
Ce n’est plus la qualification légale qui ne sera pas opposable. En effet, la version révisée de la disposition anti-abus précise que c’est l’acte juridique (ou un ensemble d’actes juridiques réalisant une seule transaction) qui n’est pas opposable à l’administration fiscale. 
L’administration devrait démontrer la présence d’un abus fiscal, par présomptions ou par d’autres moyens de preuve visés par l’article 340 du Code des impôts sur les revenus/article 185 du Code des droits d’enregistrement. Cette preuve doit se fonder sur des circonstances objectives. On entend par « abus fiscal », la réalisation par le contribuable, par l’intermédiaire d’un acte juridique ou d’un ensemble d’actes juridiques, d’une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d’une disposition du Code ou des arrêtés d’exécution, en dehors du champ d’application de cette disposition, ou d’une opération par laquelle il revendique un avantage fiscal prévu par une disposition du Code ou des arrêtés d’exécution, dont l’octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage. Encore faudra-t-il connaitre les objectifs et les buts des dispositions visées, ce qui ne parait pas du tout évident compte tenu du caractère subjectif de ce test.
En ce qui concerne le contribuable, il devrait pouvoir éviter l’application de la disposition générale anti-abus s’il démontre que le choix de son acte est justifié par des raisons autres que l’évasion fiscale. D’après l’exposé des motifs ceci implique que le contribuable doit apporter la preuve que son choix est essentiellement justifié par des motifs non fiscaux. Cela signifie que l’administration fiscale devrait être habilitée à contester les opérations justifiées exclusivement par des motifs fiscaux, mais, en outre, les opérations dont les motifs non fiscaux sont tellement généraux qu’ils sont présents pour chaque opération du même type où sont tellement insignifiants par rapport aux motifs fiscaux qu’ils ne peuvent pas être acceptées (ce, puisque une personne « raisonnable » n’aurait pas réalisé l’acte sans l’avantage fiscal).

« L’exemption de 100% sur le montant net des plus-values sur actions sera maintenue mais devrait être conditionnelle. »

Si le contribuable n’arrive pas à démontrer qu’il existe une ou plusieurs motivations non fiscales, l’administration devrait pouvoir « restaurer » la base imposable et le calcul de l’impôt de telle sorte que l’imposition conforme aux objectifs visés par le législateur soit possible, comme si l’abus n’avait jamais existé. (Il n’est plus explicitement prévu que les effets et les conséquences de cette requalification puissent différer de ceux succédant des actes accomplis par le contribuable). L’implémentation de cette mesure promet des discussions longues et complexes.
En ce qui concerne l’impôt sur les revenus, la nouvelle disposition devrait s’appliquer à partir de l’exercice d’imposition 2013, ainsi que pour les actes juridiques (ou ensemble d’actes juridiques) accomplis au cours de l’exercice d’imposition 2012, à condition que la période imposable se termine le jour la publication de la loi programme ou postérieurement à celle-ci. Enfin, un garde-fou devrait être ajouté pour permettre à l’administration de ne pas tenir compte des changements de date de clôture des comptes annuels à partir du 28 novembre 2011. Par conséquent, les autorités fiscales pourraient être tentées de remettre en question certaines transactions entamées précédemment, mais dont certaines étapes restent à accomplir. La sécurité juridique n’en sort pas grandie. Quant aux droits d’enregistrement et de succession, la nouvelle disposition devrait s’appliquer aux actes (ou ensemble d’actes juridiques) accomplis à partir du premier jour du deuxième mois suivant le mois dans lequel la loi est publiée.

Plus-values sur actions: détention minimale ou taxation

L’exemption de 100% sur le montant net des plus-values sur actions sera maintenue mais, dorénavant, devrait être conditionnelle. Dès lors, il ne devrait plus être possible de bénéficier d’une exemption d’impôts pour des plus-values sur actions n’ayant pas été détenues en pleine propriété pendant une période ininterrompue d’au moins un an. 
Une règle spéciale de calcul de la période de déduction est prévue pour les actions acquises en échange de transactions fiscalement neutre (fusions, scissions, transferts de branches d’activités ou d’universalités qui répondent aux motifs économiques valables, requis par l’article 183bis CIR). Dans ces cas, la période requise prend cours à compter de la date d’acquisition des actions échangées et non à la date d’acquisition des actions reçues en échange (la transaction fiscalement neutre n’est donc pas prise en compte pour « remettre les compteurs à zéro »). 
Si la période de détention d’une année n’est pas remplie, les plus-values seront soumises à une taxation distincte de 25,75% (25% de taux de base auxquels on ajoute les 3% de cotisation complémentaire de crise).
Dès lors, les plus-values sur actions pourraient donc être soumises à une exemption si la condition d’imposition et de la période de détention sont simultanément respectées, une taxation à 25,75% si l’exigence d’imposition est rencontrée, mais pas l’exigence de détention et une taxation à 33,99% dès que l’exigence d’imposition n’est pas remplie. 
En matière de pertes en capital et de moins-values sur les actions, leur déduction devrait continuer à être rejetée, les moins-values réalisées lors de la liquidation de la société dans laquelle les actions sont détenues exceptées. 
Les « sociétés de trading » régies par l’Arrêté Royal du 23 septembre 1992 ne devraient être affectées par ces nouvelles règles que dans la mesure où les actions faisant partie d’un portefeuille commercial sont concernées (i.e. des actions détenues en vue de les revendre dans un court laps de temps). Les plus-values sur ces actions devraient être entièrement imposables alors que les moins-values et les réductions de valeur devraient être, à l’inverse, entièrement déductibles. Des règles particulières sont également prévues pour les transferts internes d’actions à partir de et vers les « portefeuilles commerciaux ». Les nouvelles règles sont applicables à compter de l’exercice d’imposition 2013.

Conclusion

A la lecture des quelques modifications qui précèdent le lecteur averti aura perçu les innombrables questions qui devraient découler d’une telle réforme. La prudence est donc de mise.
Nous nous contenterons donc d’une mise en garde générale quand aux cruciales implications que pourrait avoir l’implémentation de ces mesures (particulièrement la disposition générale anti-abus), et espérons que l’administration fiscale saura ne faire application de la mesure anti-abus qu’en dernier recours en cas d’abus manifeste.

Geoffroy Galéa et Stéphane Jourdain (Deloitte)

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