Plans de stock options: la déduction fiscale de frais mise à mal?

Dans un jugement fortement décrié, le Tribunal de première instance de Bruxelles a décidé que les frais refacturés à une filiale belge par sa maison mère étrangère et correspondant à la perte sur actions réalisée par cette dernière dans le cadre d’un plan de ‘stock options’ ne sont pas fiscalement déductibles, au motif qu’ils constituent en fait une moins-value sur actions. Une jurisprudence qui, si elle devait se confirmer, aurait des conséquences non négligeables pour les sociétés belges impliquées dans ce type de schéma.

De nombreux groupes internationaux utilisent des plans de ‘stock options’ afin de rémunérer leurs employés, mais également pour les associer au développement de la société. Bien que le système ait été ébranlé par la crise financière, empêchant de par cette raison l’exercice de nombreuses options, il demeure néanmoins fiscalement efficace en cas de conjoncture économique favorable (et ce, tant pour l’employeur que pour l’employé).
Dans le cadre de cette contribution, nous aborderons la problématique de la refacturation des coûts de l’exercice de stock options par une société étrangère à une filiale belge et la qualification fiscale desdits coûts. En effet, dans les groupes internationaux, les plans de stock options ne sont souvent pas émis par la société (filiale) qui emploie les travailleurs bénéficiant des stock options mais par la société mère étrangère (cotée) qui, le cas échéant, refacture par après les coûts y relatifs.

Concrètement, il convient de considérer les cas suivants:

  • Les actions que les employés peuvent acquérir sont de nouvelles actions. En d’autres termes, les employés participent à une augmentation de capital. Dans ce cas, les frais en question couvrent principalement les frais de gestion du plan et les coûts afférents à l’augmentation de capital;
  • Les actions que les employés peuvent acquérir sont des actions existantes. La structure capitalistique de la société en question n’est par conséquent pas impactée par cette opération. Dans cette hypothèse, il sera procédé au rachat d’actions (le cas échéant sur le marché) suivi d’une cession aux bénéficiaires pour un prix inférieur (faute de quoi les options seraient « out of the money » et ne seraient pas exercées), réalisant de fait une moins-value sur lesdites actions, qui sera en principe reflétée dans le montant refacturé à la filiale belge.

Le premier cas ne soulève pas de problème particulier au regard de l’impôt des sociétés, si ce n’est ceux propres à toute (re)facturation au sein d’un groupe de sociétés liées (cf. infra). Par contre, dans le second cas, on pourrait se poser la question de la déductibilité fiscale de la charge en question compte tenu du principe selon lequel les réductions de valeur et moins-values sur actions ne sont pas déductibles sur le plan fiscal (sauf, et sous conditions, dans l’hypothèse d’une liquidation, ce qui n’est pas le cas). A ce sujet, et à défaut de directives officielles (jurisprudence, rulings, circulaires administratives,…), il était communément admis que cette déduction fiscale ne devrait pas pouvoir être remise en cause.
Dans son jugement, le Tribunal a toutefois ébranlé cette certitude en considérant que de tels frais constituaient en fait, pour l’application du code des impôts sur les revenus, des moins-values sur actions qui tombent dans le champ de l’article 198, § 1er, alinéa 7 qui permet de rejeter la déduction fiscale.

Le jugement

Dans l’affaire portée devant le Tribunal, certains employés d’une société belge, filiale d’une société établie en Afrique du Sud, s’étaient vus octroyer des options sur actions. Une autre filiale du groupe achetait les actions sous-jacentes et les revendait à un trust qui s’occupait de la gestion du plan.
Si un employé désirait exercer ses options, le trust « puisait » dans la réserve d’actions, ou en faisait acquérir de nouvelles, qui étaient ensuite cédées aux bénéficiaires au « strike price ». Lorsque ce mécanisme donnait lieu à une moins-value, c’est-à-dire en cas de différence négative entre le prix d’exercice de l’option et le prix payé pour l’achat des actions, celle-ci était refacturée à la filiale pour laquelle le titulaire de l’option travaillait, y incluse la filiale belge.
L’administration fiscale belge a considéré que de tels frais constituaient des moins-values sur actions, dont la déduction fiscale doit être rejetée. Elle est suivie dans son raisonnement par le Tribunal. Le contribuable a interjeté appel de ce jugement.

Appréciation

Il n’existe pas, en droit fiscal belge, de règles spécifiques régissant le traitement fiscal des coûts liés aux plans de ‘stock options’ (qu’ils soient supportés directement par la société ou qu’ils lui soient refacturés par une autre entité). Il convient donc d’appliquer les règles fiscales générales en matière de déductibilité de frais professionnels.
A cet égard, l’article 198, §1er, alinéa 7, stipule que « ne sont pas considérées comme des frais professionnels, les réductions de valeur et les moins-values sur les actions ou parts, à l’exception des moins-values actées à l’occasion du partage total de l’avoir social d’une société jusqu’à concurrence de la perte du capital libéré représenté par ces actions ou parts. »

Dans le cas d’espèce, le Tribunal a considéré que, en l’occurrence, la quote-part de frais refacturés correspondant à la perte sur actions n’était pas admissible au titre de frais professionnels déductibles; cette position est basée sur les considérants suivants:

  • La disposition en question ne prévoit pas de condition de propriété ou de détention des actions sur lesquelles la perte est réalisée;
  • La refacturation n’a pas d’incidence sur la nature des frais en question (il convient de noter que, dans le cas spécifique, la refacturation était basée sur une facture portant le libellé « moins values sur actions, conformément à notre contrat »).

Selon nous, cette position ne peut être retenue, et ce pour les raisons suivantes.
Tout d’abord, il convient de noter que, en vertu des principes généraux, le droit fiscal (‘lex specialis’) suit en général le droit commun (‘lex generalis’ – par exemple le droit comptable ou le droit civil), sauf dérogation explicite. En l’occurrence, et en l’absence de définition d’une moins-value en matière d’impôts sur les revenus, il convient de se tourner vers l’arrêté royal comptable pour déterminer les contours de cette notion. Ce dernier prévoit à cet effet qu’une moins-value ne peut être comptabilisée par une société que si celle-ci a détenu les actifs sous-jacents. Ce raisonnement a été suivi par la Cour d’appel d’Anvers dans un arrêt de 2003 rendu en matière d’imputation de précompte mobilier sur dividendes dans le cas où la distribution de dividendes a entraîné une réduction de valeur / moins-value sur les actions y relatives.

Par ailleurs, lorsque des coûts font l’objet d’une refacturation, nous estimons que la nature de ceux-ci est modifiée. Cette position, qui est partagée par une doctrine majoritaire, est basée sur:

  • Un avis de la Commission des Normes Comptables;
  • Une certaine jurisprudence fiscale;
  • Les commentaires administratifs;
  • La jurisprudence du Service des Décisions Anticipées, qui a par exemple décidé qu’une taxe régionale (pour laquelle il existe, comme pour les pertes sur actions, une disposition spécifique prévoyant la non déductibilité fiscale) refacturée par le propriétaire au locataire doit être rejetée dans le chef du propriétaire, et perd sa nature de taxe régionale dans le chef du locataire sur lequel elle est répercutée.

La position prise par le Tribunal selon laquelle le mécanisme incriminé serait abusif (en ce sens que le recours à une filiale sous-africaine, pour laquelle les pertes sur actions sont déductibles, serait exclusivement inspiré par des conditions fiscales), est non seulement incorrect et totalement non pertinent.
Enfin, il pourrait être envisagé de défendre que les frais en question, en ce qu’ils permettent d’octroyer une rémunération aux employés de la filiale belge, constituent dans le chef de cette dernière des frais de salaire, pour lesquelles une disposition spécifique prévoit la déduction fiscale (article 52, alinéa 3 du code des impôts sur les revenus). Cette position est notamment étayée par le fait que, dans un tel cas, la société belge doit mentionner les options accordées sur les fiches de salaires des bénéficiaires.

Considérations additionnelles

Comme expliqué ci-dessus, nous n’adhérons pas à la décision rendue par le Tribunal, celle-ci nous semblant en effet manquer en droit (et avoir probablement été influencée par certains éléments spécifiques au cas jugé). Il n’en reste pas moins que, pour être déductibles, ces frais doivent répondre aux règles génériques de déductibilité des frais professionnels, et respecter les dispositions en vigueur en matière de prix de transfert.
Dans ce contexte, et afin d’aider les pouvoirs publics à rationaliser leurs politiques fiscales dans une perspective transnationale, l’OCDE s’est notamment posée la question de la problématique des prix de transfert dans le cadre de telles opérations.
Pour rappel, cette problématique peut se poser dans le cadre de relations entre sociétés associées appartenant à un groupe (multinational) et s’exprime via le principe de pleine concurrence (souvent utilisé sous son anglicisme « at arm’s length principle ») exigeant que les relations entre sociétés associées soient comparables à celles entre sociétés indépendantes agissant librement dans un contexte comparable.
L’OCDE est partie du constat que certaines sociétés mères refacturaient les coûts de stock options tandis que certaines ne le faisaient pas. L’OCDE a également relevé que, mis à part certains cas exceptionnels, c’était la société mère qui refacturait les coûts à ses sociétés filles.
Etant donné la complexité des structures de stock options, l’OCDE souligne l’importance de la documentation interne du groupe afin de pouvoir déterminer les volontés réelles des parties au moment de la mise en place du plan, et ce, afin de s’assurer que le caractère « at arm’s length » est bien respecté.
Sans vouloir rentrer dans des détails fort techniques, l’OCDE est de l’avis que les coûts liés à de tels plans doivent être refacturés aux sociétés filiales et ne peuvent être considérés comme étant une charge pour les actionnaires (« shareholder cost »).

En droit belge, ce principe se traduit par les concepts d’avantages anormaux ou bénévoles. Est considéré par la jurisprudence comme anormal ce qui est contraire à l’ordre habituel des choses, aux règles ou aux usages établis. Sera jugé bénévole l’avantage alloué en dehors de l’exécution d’une obligation ou sans contrepartie adéquate ou réelle.
Les dispositions existantes en la matière prévoient que:

  • Quand une société belge accorde un avantage dit « anormal ou bénévole » à une partie liée, l’administration fiscale peut réintégrer cet avantage dans la base imposable de la société belge, sauf dans les cas où ces avantages sont compris dans la base imposable du bénéficiaire (e.g. cas d’une transaction entre sociétés belges);
  • Des règles spécifiques s’appliquent pour les sociétés bénéficiaires d’un avantage anormal ou bénévole. A ce sujet, l’administration fiscale considère l’avantage anormal ou bénévole reçu comme une base imposable minimale pour la société bénéficiaire, quel que soit le résultat fiscal de la période imposable. Cette base imposable minimale ne peut être compensée par aucune déduction fiscale. En pratique, cela signifie que les avantages reçus sont immédiatement imposables, même si la société est en situation de perte fiscale courante ou dispose de déductions fiscales reportées. La société pourra toutefois reporter une perte fiscale d’un montant égal au montant de l’avantage anormal ou bénévole. Ceci implique que l’application, le cas échéant, de ces règles spécifiques n’entrainera qu’une différence temporaire de taxation dans le chef de la société bénéficiaire pour autant que cette dernière dispose de suffisamment de bénéfices imposables futurs.

Il faut donc s’assurer que les coûts refacturés répondent au principe de pleine concurrence, notamment au regard (i) de leur allocation et (ii) de leur détermination.
Enfin, et conformément aux règles générales applicables en matière de déductibilité de frais professionnels, il conviendra de produire des documents (contrats, factures,…) permettant de justifier la réalité et le montant des frais ainsi supportés.

Conclusion

Comme esquissé ci-dessus, le jugement rendu en la matière ne nous semble pas devoir recevoir de portée générale, de sorte que son importance ne doit pas être surestimée. Il n’en reste pas moins que, de manière générale, la problématique de la refacturation des frais de plans de ‘stock options’ doit être appréhendée avec prudence.

Stéphane Jourdain (Deloitte)

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