Plus-values sur actions et parts: 20 ans plus tard, où en est-on?

En sus de son désormais célèbre régime de déduction pour intérêts notionnels, la Belgique est aussi attractive pour bon nombre d’investisseurs sur le plan fiscal grâce à son régime d’exemption des plus-values sur actions et parts. En 20 années de carrière, ce régime a connu bon nombre d’évolutions et fait encore l’objet de controverses dans certains cas bien spécifiques. Morceaux choisis.

1.Principe non bis in idem

Le droit fiscal belge privilégie les revenus d’actions sous forme de dividendes ou de plus-values en vertu du principe non bis in idem. Le principe est simple: « quelle que soit la manière dont les bénéfices de la filiale sont transférés à la société mère, si les bénéfices ont été taxés, il n’y a pas lieu de retaxer »2. Dans cette logique, le régime d’immunisation des plus-values réalisées lors du transfert des actions et parts prévoit une exonération totale des plus-values sur actions et parts pour autant que la société dont les actions ont été cédées ait été suffisamment taxée (cfr. infra).

2.Plus-values sur actions: principes

2.1. Plus-values exprimées mais non réalisées 
Les plus-values exprimées mais non réalisées n’entrent pas dans le champ d’application du régime d’exonération des plus-values sur actions et parts, celui-ci ne s’appliquant qu’aux plus-values réalisées sur les actions et parts d’une société.
Les plus-values exprimées mais non réalisées bénéficient toutefois également d’un régime d’exonération pour autant que leur montant soit porté et maintenu à un (ou plusieurs) compte(s) distinct(s) du passif (condition dite d’intangibilité). Lorsque la condition d’intangibilité est respectée, lesdites plus-values perdent leur caractère de bénéfice et ne sont donc pas soumis à la taxation de 33,99%. A partir du moment où la condition d’intangibilité n’est plus respectée, les plus-values deviennent (en principe) taxables.
A noter également que toute plus-value exprimée mais non réalisée vient en diminution de la base de la déduction pour capital à risque (les fameux intérêts notionnels). Le fait qu’elle ait été taxée ou pas (en raison du non-respect de la condition d’intangibilité) n’a, selon l’administration fiscale, aucune importance à cet égard ; une analyse technique pointue des dispositions en question permet toutefois d’en douter, et nous pousse à considérer que seule une plus-value de réévaluation exemptée doit venir en déduction de la base de calcul des intérêts notionnels.

2.2.Plus-values réalisées
Le texte légal prévoit que les plus-values réalisées sur actions sont intégralement exonérées pour autant qu’elles se rapportent à des actions dont les revenus éventuels sont susceptibles d’être déduits des bénéfices en vertu des articles 202, § 1er et 203 du Code des Impôts sur les Revenus.
Les 203 CIR 92 est communément appelée condition « de taxation » ou aussi condition qualitative; elle repose en effet sur l’idée (exprimée dans le principe non bis in idem) que, si les résultats de la filiale ont été taxées à l’étranger, il convient de ne pas les imposer à nouveau au niveau de l’actionnaire-société. En d’autres termes, la condition de taxation vise à éviter une double taxation / exemption des revenus en question.
Il est à noter que la condition dite « quantitative » du régime des revenus définitivement taxés (« RDT ») ne s’applique pas dans le cas du régime d’exonération des plus-values; dès lors, les conditions (i) d’une participation minimale en pleine propriété, (ii) de la durée de détention et (iii) de la qualification d’immobilisation financière (qui devrait être supprimée avec effet rétroactif au 1er janvier 2011) ne sont pas exigées pour l’exonération des plus-values sur actions.
L’article 203 CIR 92 reprend une série de tests qui visent à exclure les dividendes provenant de certaines catégories de sociétés ou de sociétés établies dans certains pays qui n’auraient pas été « suffisamment taxées » pour pouvoir bénéficier du régime RDT, et partant du régime d’exonération des plus-values. L’interprétation de l’article 203 CIR 92 et de ses différentes mesures d’exclusion dépassant le cadre de cet article, nous ne nous y attarderons pas davantage. Il est à noter que l’interprétation et l’application de l’article 203 CIR 92 a fait l’objet de nombreux commentaires en doctrine et reste une des matières les plus complexes dans le droit fiscal belge. Nous y reviendrons par la suite.

3. Cas particuliers

Dans les cas particuliers développés ci-après, nous constaterons l’application (ou non) du régime d’exonération des plus-values sur actions et parts dans certains cas spécifiques.

3.1. Distribution de fonds propres en nature
Il est tout-à-fait possible pour une société d’opérer une distribution de fonds propres en nature (dans le cadre d’une distribution de dividendes ou d’une réduction de capital). Il s’agit en fait d’une modalité particulière dont dispose la société en question pour éteindre la dette qu’elle a vis-à-vis de ses actionnaires.
Dans le cas d’une distribution en nature, le montant distribué doit en principe correspondre à la valeur réelle des actifs en question. S’agissant d’une aliénation des actions en question, la plus-value dégagée à cette occasion est dès lors considérée comme réalisée sur le plan fiscal. Il est communément admis que la plus-value réalisée sur les actions distribuées peut bénéficier de l’exemption pour autant que la condition de taxation soit remplie.
Par exemple : une société X détient un portefeuille d’actions comptabilisé à 100 € dans ses livres, avec une valeur de marché de 120 €. La société Y déclare un dividende en nature (dividende portant sur le portefeuille d’actions précité) en faveur de ses actionnaires. Ledit dividende en nature s’élèvera donc à 120 € et la société Y devra acter une plus-value de 20 € sur son portefeuille qui pourra bénéficier du régime d’exonération des plus-values (moyennant conditions).
Parallèlement, la plus-value issue d’un versement de liquidation sous la forme d’un portefeuille d’actions devrait également être susceptible de bénéficier du régime d’exonération.

3.2. Acquisition d’actions pour un prix variable en partie aléatoire – les clauses d’earn out
Il est fréquent qu’une cession de participation comporte une clause de fixation définitive du prix (« clause d’earn-out »), celle-ci permet tant à l’acheteur et au vendeur une meilleure évaluation du prix de la participation en tenant compte des résultats de l’entreprise sous-jacente après acquisition. Elle permet en outre, dans le cas de sociétés où les actionnaires jouent un rôle prépondérant dans la gestion quotidienne de la société, de garder ceux-ci « à bord » et constitue un incitant pour effectuer de manière optimale la transition. Enfin, elle permet de financer en partie l’acquisition via les résultats futurs de la société cible.
Sur le plan comptable, on considère le paiement futur du montant variable en fonction des performances dans le futur comme étant un événement sous condition suspensive, qui ne peut – en vertu de la loi comptable – être porté au bilan que dans le cas où l’événement se réalise (dans l’attente de cette réalisation, la loi comptable exige qu’il soit porté dans les comptes de droits et engagements hors bilan).
Sur le plan fiscal, il ne fait pas de doute que les compléments de plus-value enregistrés au cours d’exercices ultérieurs peuvent être considérés comme fiscalement exonérées (pour autant que la condition de taxation soit remplie). L’opération doit en effet être appréhendée dans son ensemble, nonobstant le principe dit « d’annuité » de l’impôt.

3.3. Plus-values sur les parts de Fonds Communs de Placement (« FCP »)
Un FCP est considéré, en droit belge, comme un patrimoine indivis de valeurs mobilières détenu en co-propriété par des investisseurs.
A ce titre, un FCP ne dispose pas, à l’inverse des sociétés d’investissement comme les SICAV, de la personnalité juridique. De ce fait, il est dit « transparent » pour l’application de la fiscalité belge, ce qui implique qu’il n’est pas soumis à l’impôt en Belgique. La loi fiscale est claire à ce sujet: la propriété indivise d’un FCP n’est pas considérée comme constituant une entreprise. Il en découle que les revenus et charges du FCP conservent leur nature propre dans le chef des investisseurs et qu’un système de transparence sans conversion de revenus doit en principe s’appliquer (pour autant que la société de gestion du FCP soit en mesure de fournir aux copropriétaires un détail des revenus et charges du FCP, ainsi que des achats / ventes / réinvestissements effectués).
En raison de cette absence de personnalité juridique, une application stricte de la transparence fiscale impliquerait, sur la base d’une analyse juridique de la nature du FCP, que, pour les besoins fiscaux, les revenus perçus par le FCP soient considérés comme directement perçus par les détenteurs de parts du FCP. Ceci aurait comme corollaire la taxation immédiate des détenteurs de parts sur les revenus réalisés au travers du FCP (système d’imposition immédiate sans conversion de revenus), indépendamment de toute distribution par le FCP aux investisseurs. Dans la pratique, les acteurs du marché appliquent généralement un système d’imposition différée sans conversion de revenus: les revenus accumulés dans le FCP ne sont pas imposés lors de leur perception par celui-ci, mais bien lors de leur distribution effective ultérieure aux investisseurs. Cette dernière approche peut toutefois présenter des difficultés en matière de preuve à apporter, lors de la sortie de l’investisseur, quant à la nature du gain réalisé à cette occasion.
C’est particulièrement vrai pour un investisseur société. Par le passé, l’administration fiscale refusait d’appliquer la transparence en cas d’aliénation de parts d’un FCP, considérant que la plus-value réalisée à cette occasion se rapporte aux parts en tant que telles, et non aux actions sous-jacentes (Com IR 192/6). Cette position a entre-temps été battue en brèche par la jurisprudence et par le Service des Décisions Anticipées, de sorte que la question principale à résoudre est maintenant celle de la preuve de la composition du résultat ainsi dégagé à la sortie de l’investisseur, qui peut s’opérer par rachat par le FCP de ses parts ou par cession des parts à un tiers.
En ce qui concerne le rachat, une telle opération doit selon nous s’analyser juridiquement comme une sortie d’indivision par laquelle l’investisseur se voit attribuer sa quote-part des réserves accumulées dans le fonds et des plus-values/moins-values réalisées à cette occasion sur les actifs sous-jacents. Ceci implique que le résultat réalisé à l’occasion d’un tel rachat soit ventilé en ses différents composants dont chacun doit se voir appliquer son traitement fiscal propre au niveau de l’investisseur, avec le cas échéant application (partielle) de l’exemption pour les actions détenues au travers du FCP.
Pour ce qui est de la cession à un tiers, il y a fort à parier que le contribuable sera bien en mal d’allouer ce résultat entre revenus accumulés dans le fonds et plus-values/moins-values sur les actifs sous-jacents. Dans un tel cas, l’intégralité du résultat réalisé devrait en pratique être considérée comme une plus-value imposable – en cas de gain – ou comme une moins-value déductible – en cas de perte. Ce résultat peu attractif ne devrait pouvoir être évité que dans des cas extrêmes. Ainsi, si l’on prend en compte un FCP (i) investi exclusivement en « bonnes » actions n’ayant pas distribué de dividendes et (ii) à composition inchangée entre l’acquisition par l’investisseur des parts et la vente de celles-ci, il nous semble possible d’argumenter qu’un gain de 100 doive être considéré comme pleinement exonéré. En effet, que ce résultat se compose exclusivement de plus-values pour un montant de 100, ou de plus-values pour un montant de 120 et de moins-values pour un montant de 20, le résultat fiscal devrait être le même, i.e. 0.

4. Controverse: les clauses d’exclusion du régime d’exonération des plus-values sur actions et parts.

Comme expliqué ci-dessus, l’exonération est conditionnée au fait que la société distributrice remplisse la condition der taxation. Une des règles d’exclusion incluse dans cette condition s’applique dans le cas des holdings intermédiaire: en effet, les dividendes distribués par une société intermédiaire et qui proviennent de dividendes que celle-ci a elle-même reçus de ses filiales ne sont exonérés au niveau de l’actionnaire société que si les dividendes ainsi redistribués proviennent pour au moins 90% de dividendes qui qualifieraient pour le régime des RDT si les participations correspondantes étaient détenues directement. Le but de cette disposition est d’éviter l’interposition d’une holding normalement taxée entre l’actionnaire société belge et des filiales faiblement taxées.
L’application de cette disposition dans le contexte des plus-values sur actions est éminemment complexe. Pour faire bref procès, l’administration considère que l’intégralité des dividendes susceptibles d’être distribués par cette holding intermédiaire doit qualifier pour le régime des RDT. A défaut, l’intégralité de la plus-value serait taxable. Il s’agit d’une position « tout ou rien » qui est contestable étant donné que:

  • Elle ne prend pas en compte la réalité: il est en effet virtuellement impossible de remplir cette condition;
  • Une tolérance (maximum 10% de « mauvais » dividendes) est prévue pour les dividendes.

La jurisprudence (soutenue par une certaine doctrine) semble contredire l’administration fiscale. Dans le cas d’une société disposant de 98,57% de bons dividendes et de 1,43% de mauvais dividendes, l’administration fiscale estimait que la plus-value réalisée sur les actions sous-jacentes ne pouvait bénéficier du régime d’exonération puisqu’une partie de ses revenus entrait dans l’une des catégories d’exclusion du régime RDT. Dans son jugement, le Tribunal donne gain de cause au contribuable en considérant, à juste titre, que ce faisant l’administration fiscale rajoute une condition supplémentaire au régime légal.

Conclusion

Le régime d’exonération des plus-values sur actions et parts, bien que simple dans son libellé, peut parfois poser pas mal de problèmes en pratique. Il conviendra donc au contribuable de se renseigner sur les modalités d’application d’un tel régime, afin d’éviter toute mauvaise surprise.

Stéphane Jourdain (Deloitte)

Poster un commentaire

*